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Comme Venise, La Rochelle s’est élevée au milieu des eaux et s’est peuplée de proscrits. La mer, avançant bien au-delà de ses limites actuelles, entourait de trois côtés une roche basse formant un petit cap allongé qui semblait sortir de vastes marais[1]. Quelques cabanes groupées au pied d’une tour à côté d’une chapelle, et habitées par de pauvres pêcheurs, s’élevaient sur cette espèce d’îlot. Voilà ce que fut La Rochelle jusqu’au commencement du XIIe siècle. À cette époque, les serfs de Chatelaillon et de Montmeillan, fuyant leur territoire dévasté par la guerre ou envahi par l’océan, vinrent chercher un refuge sur ce promontoire écarté. Ils y furent joints par une colonie de colliberts chassés du Bas-Poitou, et dès 1152 il fallut bâtir une nouvelle église[2]. À partir de cette époque, l’importance de La Rochelle s’accrut rapidement Après son mariage avec Eléonore d’Aquitaine, Henri II, jaloux de s’assurer la fidélité d’une ville peuplée de hardis marins et de riches marchands, l’éleva au rang de commune et lui accorda des privilèges considérables. Plus tard, Eléonore lui octroya de nouvelles franchises et organisa cette municipalité énergique et vivace qui lutta contre des têtes couronnées, et qui dura plus de quatre cents ans[3].

Le corps de ville de La Rochelle se composait de vingt-quatre échevins et de soixante-seize pairs, dont la charge était viagère. Cette espèce de sénat se recrutait lui-même par voie d’élection. En outre, chaque année, il prenait dans son sein trois candidats parmi lesquels le roi ou son représentant était tenu de choisir le maire, qui, pendant toute la durée de sa charge, exerçait une véritable souveraineté. Le roi de France nommait, il est vrai, un lieutenant-général civil et criminel ; mais ce fonctionnaire ne pouvait lever le moindre impôt, et ses prérogatives se bornaient à la nomination du maire et à la présidence de tribunaux entièrement rochelais. Le gouverneur militaire, laissé également à la nomination du roi, ne pouvait rien ordonner aux milices urbaines ni faire entrer un seul soldat dans la ville sans la permission du maire et des échevins. On voit que ces privilèges faisaient de La Rochelle une vraie république, tout aussi libre et en réalité tout aussi peu dépendante de la couronne que les grands fiefs eux-mêmes.

Grâce à ces institutions et aux hommes remarquables qu’elle sut

  1. Ce banc de rocher, sur lequel furent construits la tour et plus tard le château, valut à cette ville le nom latin dont le nom actuel n’est qu’une traduction : Rupella, petit rocher.
  2. Histoire de la Ville de La Rochelle et du pays d’Aulnis, composée d’après les auteurs et les titres originaux ; par M. Arcère de l’Oratoire, 1756.
  3. La constitution rochelaise fut assez profondément modifiée par François Ieren 1535, et rétablie dans sa forme primitive treize ans après, par Henri II. À liait celle espèce de suspension, elle s’est conservée presque sans changement de 1498 jusqu’à 1628.