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de proportionner le travail à l’importance et à la destination des objets auxquels il s’applique. Je crois que nos fabricans modernes ne devraient jamais l’oublier.


PROSPER MERIMEE.

SAINT PAUL ET SENEQUE.
RECHERCHES SUR LES RAPPORTS DU PHILOSOPHE AVEC L’APÔTRE ET SUR L’INFILTRATION DU CHRISTIANISME NAISSANT A TRAVERS LE PAGANISME, par M. Amédée Fleury[1].


Si l’on peut avoir des doutes sur l’hypothèse, produite dans ces derniers temps, d’une identité absolue entre la révélation chrétienne et les vérités éparses dans les traditions ou les monumens de l’antiquité, il est impossible de méconnaître des rapports remarquables entre quelques-unes des doctrines de la religion et ces vérités heureuses qui, à travers les ténèbres du paganisme, ont illuminé les grands esprits de la Grèce et de Rome. Il y a plus d’une manière d’expliquer ces concordances qui, dans tous les cas, naturelles ou merveilleuses, proviennent d’une céleste origine. Peut-être l’homme ne sait-il rien que ce qui lui fut, selon le récit biblique, communiqué d’en haut après la création, et les humains en se dispersant ont-ils emporté chacun, dans les diverses régions du monde, sa part, et rien que sa part de l’héritage d’Adam. Peut-être au contraire tous ces enfans du même Dieu, enrichis des mêmes dons, éclairés du même flambeau, pourvus de cette raison universelle, qui est comme un écoulement d’une source divine, sont-ils, par le cours du temps, parvenus à quelques communes vérités, ici révélées, ailleurs découvertes, partout émanées de la vérité absolue, qui s’est réfléchie indéfiniment dans toutes ses images, comme le même soleil se peint dans tous les yeux. Peut-être enfin entre les peuples élus et les nations abandonnées à elles-mêmes s’est-il établi un involontaire et secret commerce d’idées, et comme un enseignement transmissible à la distance des lieux et des âges, en sorte que la vérité chrétienne, en passant ainsi de la tradition à la science, d’une nation à une autre nation, d’une civilisation à une autre civilisation, soit devenue la vérité profane, et que la philosophie même soit à son insu originaire de la foi.

Quoi qu’il en soit, il est certain que toute doctrine de spiritualisme, que toute morale fondée sur l’empire de soi-même et la soumission des sens à l’esprit, offre de certaines analogies avec le christianisme. C’est cette concordance, observée de bonne heure, qui a fait si bien venir le platonisme de quelques pères de l’église, et qui l’a excepté souvent des anathèmes lancés contre la philosophie. Par sa métaphysique autant que par sa morale, le platonisme méritait sans doute cette exception, quoiqu’on en ait abusé au point d’altérer à la fois les deux termes de comparaison pour les ramener à l’unité. La métaphysique du stoïcisme ne pouvait guère lui valoir un pareil honneur, et il serait difficile de retrouver dans la théodicée du Portique les traits touchans et sublimes du Dieu de l’Évangile ; mais la pureté austère de la morale des Chrysippe el des Zénon, leur dédain superbe pour l’esclave matériel enchaînée l’esprit, la force d’une victorieuse des sens, la grandeur, la richesse, la volupté sacrifiée héroïquement, la douleur vaincue et méprisée, tout cela permet de rapprocher à quelques égards les stoïciens des chrétiens, et le rapprochement est encore plus exact, si l’on considère en particulier certaines sectes religieuses, comme le calvinisme et le jansénisme.

  1. 2 vol. in-8o, Paris, chez Ladrange, rue Saint-André-des-Arts, 41.