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quelque chose à dire à ses lecteurs. Il s’est fort occupé de constater le plus ou moins de rareté de certaines poteries ; j’aurais voulu qu’il appréciât leur mérite relatif comme œuvres d’art. La rareté est sans doute un point capital. Cette faïence mystérieuse qui ne se trouve qu’en France, dont on ignore l’inventeur, le lieu de fabrication, et qu’on appelle du nom de Henri II, est très recommandable sans doute, car, selon M. Marryat, on n’en connaît dans le monde que trente-sept pièces ; mais il se peut qu’il n’existe que trente-six kylin ; ainsi nomme-t-on de vilains monstres chinois, hors de prix lorsqu’ils sont très anciens. J’aurais désiré que M. Marryat, avec l’autorité de son expérience, déclarât hautement que le chandelier en faïence de Henri II, qui fit partie du cabinet de feu M. Préaux, et qui appartient aujourd’hui à M. de Rothschild, l’emporte, comme œuvre d’art, sur le plus rare et le plus baroque kylin qui puisse exister à Pékin. Il me semble que le goût peut s’appliquer même à la curiosité, pour parler la langue des amateurs, et on ne saurait trop on prêcher le respect dans un temps comme le nôtre, où l’on est un peu porté à n’apprécier les choses que par leur valeur vénale.

En lisant l’ouvrage de M. Marryat, il est impossible de ne pas remarquer le mérite singulier des anciennes productions de la céramique et le peu de progrès apporté par le temps aux premières inventions, il en est de même, je crois, dans toutes les branches de l’industrie où l’art a une part considérable. Vers 1415 apparaissent ou Italie des bas-reliefs émaillés, et tout d’abord Luca della Robbia atteint à la perfection. Un siècle plus tard environ, les manufactures de Gunbio, Castel-Durante, Urbino, etc., répandent en Italie, leur vaisselle couverte d’arabesques et de compositions peintes, ou décorée d’ornemens en couleurs irisées. Plus tard on chercherait vainement, je pense, des reproductions heureuses des types laissés par ces premières écoles. Vient ensuite, dans l’ordre du temps, cette faïence dite de Henri II, qui se recommande par la dureté de sa pâte, la finesse de ses moules et le bon goût de ses ornemens. Il est inutile de chercher dans nos faïences modernes des équivalens, non plus qu’aux plats si recherchés de Bernard de Palissy. Je viens de citer les premiers essais de la faïence ; qu’a-t-on fait depuis ? Étudions maintenant l’histoire de la porcelaine, et pour qu’on ne me prenne pas pour un ennemi de l’art chinois, je déclarerai hautement que je rends toute justice à la beauté de ses vases, à l’éclat de leurs couleurs, surtout à leur très heureuse harmonie. Mais n’est-ce pas une chose reconnue que les porcelaines chinoises les plus anciennes sont les plus belles, et que l’on ne trouve plus parmi celles qui se fabriquent aujourd’hui ni la même élégance de forme, ni la même perfection dans la cuite ou dans la distribution des ornemens et des couleurs ? Le fait est si bien constaté, que c’est en Hollande une spéculation profitable de transporter en Chine et au Japon, pour les vendre, les porcelaines apportées par les premiers navigateurs hollandais. Il faut bien parler de nos manufactures et de Sèvres, qui tient parmi elles le premier rang. J’en appelle au jugement des artistes comme à celui des amateurs : c’est à son origine, vers 1741, que notre plus célèbre fabrique a produit ses plus beaux échantillons.

Il faut chercher une explication à cette singularité, et, faute d’en trouver une meilleure, je proposerai la mienne.

Pour produire à bon marché, ou seulement pour produire beaucoup, la