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« — O Vénus, ma belle dame, les vins exquis et les tendres baisers ont rassasié mon cœur ; j’ai soif de souffrances.

« Nous avons trop plaisanté, trop ri ensemble ; les larmes me l’ont envie maintenant, et c’est d’épines et non de roses que je voudrais voir couronner ma tête.

« — Tannhäuser, mon brave chevalier, tu me cherches noise ; tu m’as pourtant juré plus de mille fois de ne jamais me quitter.

« Viens, passons dans ma chambrette ; là nous nous livrerons à d’amoureux ébats. Mon beau corps blanc comme le lis égaiera la tristesse.

« — O Vénus, ma belle dame, tes charmes resteront éternellement jeunes ; il brûlera autant de cœurs pour toi qu’il en a déjà brûlé.

« Mais lorsque je songe à tous ces dieux et à tous ces héros que les appas ont charmés, alors ton beau corps blanc comme le lis commence à me répugner.

« Ton beau corps blanc comme le lis m’inspire presque du dégoût, quand je songe combien d’autres s’en réjouiront encore.

« Tannhäuser, mon brave chevalier, tu ne devrais pas me parler de la sorte : j’aimerais mieux te voir me battre, comme tu l’as fait maintes fois.

« Oui, j’aimerais mieux te voir me battre, chrétien froid et ingrat, que de m’entendre jeter à la face des insultes qui humilient mon orgueil et me brisent le cœur.

« C’est pour l’avoir trop aimé que tu me tiens sans doute de tels propos. Adieu, pars donc, je te le permets ; je vais moi-même t’ouvrir la porte. »

« A Rome, à Rome, dans la sainte ville, l’on chante et l’on sonne les cloches ; la procession s’avance solennellement, et le pape marche au milieu.




« C’est Urbain, le pieux pontife ; il porte la tiare, et la queue de son manteau de pourpre est portée par de fiers barons.

« — O saint-père, pape Urbain, tu ne quitteras pas cette place sans avoir entendu ma confession et m’avoir sauvé de l’enfer.

« La foule élargit son cercle ; les chants religieux cessent. Quel est ce pèlerin pâle et effaré, agenouillé devant le pape ?

« — O saint-père, pape Urbain, toi qui peux lier et délier, soustrais-moi aux tourmens de l’enfer et au pouvoir de l’esprit malin. « Je me nomme le noble Tannhäuser. Je voulais goûter amours et plaisirs, et je me rendis à la montagne de Vénus, où je restai sept ans durant.

« Dame Vénus est une belle femme, pleine de grâces et de charmes ; sa voix est suave comme le parfum des fleurs.

« Ainsi qu’un papillon qui voltige autour d’une fleur pour en aspirer les doux parfums, mon âme voltigeait autour de ses lèvres roses.

« Les boucles de ses cheveux noirs et sauvages tombaient sur sa douce figure ; et lorsque ses grands yeux me regardaient, ma respiration s’arrêtait.

« Lorsque ses grands yeux me regardaient, je restais comme enchaîné, et c’est à grand’peine que je me suis échappé de la montagne..