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l’Honneur et l’Argent, sérieuse tentative que la dignité de l’inspiration relève et anime encore plus qu’une grande force comique. Aujourd’hui c’est la comédie de M. Émile Augier, Philiberte, et voici que déjà on voit poindre une œuvre nouvelle de M. Alfred de Musset, — œuvre nouvelle en tout point certainement, — qui s’inspire de la vie d’Auguste, et dont une partie lyrique a été mise en musique par M. Gounod. Quant à la comédie de M. Augier, c’est sur la scène du Gymnase qu’elle s’est produite au milieu du plus vif succès. Quel est le sujet de Philiberte ! C’est une jeune fille qui se croit laide, que tout le monde croit laide, destinée à vivre sans amour comme sans bonheur, et qui se replie en elle-même dans le sentiment de cette situation inférieure que créent tes disgrâces physiques. La réalité est qu’elle est charmante sans s’en douter. Riche d’ailleurs, comment croirait-elle à un attachement qui ne s’adresserait qu’à elle-même ? Aussi elle accable celui qui l’aime réellement de ce soupçon d’une poursuite intéressée ; elle l’humilie, pour s’en repentir ensuite quand elle découvre la pureté de cet amour. Mais est-il temps encore de guérir cette plaie de la fierté blessée dans un jeune cœur ? Cela doit être sans doute dans une honnête comédie. Joignez à cette donnée principale quelques personnages épisodiques, un vieux duc qui traîne dans la vieillesse les légèretés du jeune âge. Et qui veut faire une fin en épousant Phfliberte, — un chevalier qui essaie d’en faire sa maîtresse pour voir si l’amour embellira ce visage, et qui finit aussi par s’enflammer pour la jeune fille ; supposez l’un et l’autre facilement évincés par le jeune homme dont la pensée vit toujours dans le cœur de Philiberte : — telle est la comédie de M. Émile Augier. Nous nous demandons pourquoi l’auteur a placé la scène au XVIIIe siècle, sous le règne de Louis XVI. L’inconvénient, c’est que Philiberte n’est ni une comédie de mœurs ni une comédie anecdotique ; mais c’est une étude délicate et charmante d’une des nuances de la vie sociale et même de la vie humaine. L’action n’est rien dans la comédie de M. Augier, les détails sont tout. L’intérêt est dans la poésie, dans l’observation, dans la délicatesse de l’analyse, dans la grâce vive et rapide du dialogue. Avec moins de force et de gravité, M. Émile Augier a évidemment, bien plus que M. Ponsard, l’instinct de la comédie. Comme ils étaient nés ensemble à la vie littéraire, la fortune les a réunis de nouveau à peu de jours d’intervalle pour obtenir le double succès de l’Honneur et l’Argent et de Philiberte. Au théâtre, comme dans plus d’un autre genre littéraire, c’est une chose à remarquer : les publications se multiplient depuis quelque temps. Est-ce une ébullition passagère ? Est-ce le signe d’un mouvement nouveau ? Il ne faudrait pas même demander ces splendeurs qu’on semblait annoncer récemment. Les Virgiles ne naissent pas tous les jours pour chanter les ordres nouveaux, parce que d’abord les ordres nouveaux ne se reproduisent pas aussi fréquemment qu’on pourrait le croire. Il faut demander seulement à l’esprit de faire un effort pour se guérir des blessures dont il souffre depuis longtemps. Il y a dans l’intelligence recueillie en elle-même, s’assujettissant à une règle, se retrempant dans une inspiration saine, une force qu’on ne soupçonne pas, et qui est le moyen le plus puissant dont notre pays puisse se servir pour rester à la tête de toutes ces nations qu’il a si souvent dirigées, éblouies, fascinées et par malheur aussi souvent égarées.