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du romantisme classique. Suivant les légendes germaniques, Vénus, après la destruction de ses temples, se serait réfugiée au fond d’une montagne mystérieuse, où elle mène joyeuse vie en compagnie des sylvains et des sylphides les plus lestes, des dryades et des hamadryades les plus avenantes, et de maints héros célèbres qui ont disparu de la scène du monde d’une manière mystérieuse. D’aussi loin que vous approchez de ce séjour de Vénus, vous entendez des rires bruyans et des sons de guitare qui, semblables à des filets invisibles, enlacent votre cœur et vous attirent vers la montagne enchantée. Par bonheur pour vous, un vieux chevalier, nommé le fidèle Eckart, fait bonne faction à l’entrée de la montagne. Immobile comme une statue, il est appuyé sur son grand sabre de bataille ; mais sa tête blanche comme la neige tremblotte toujours et vous avertit tristement des dangers voluptueux qui vous attendent. Il y en a qui s’en effraient à temps ; d’autres n’écoutent point la voix chevrotante du fidèle Eckart, et se précipitent éperdûment dans l’abîme des joies damnées. Pendant quelque temps, tout marche à souhait ; mais l’homme n’aime pas toujours à rire : parfois il devient silencieux et grave, et pense au temps passé, car le passé est la patrie de son âme. Il se prend à regretter cette patrie : il voudrait de nouveau éprouver les sentimens d’autrefois, ne fût-ce que des sentimens de douleur. Voilà ce qui arriva au Tannhaeuser, au rapport d’une chanson qui est un des monumens linguistiques les plus curieux que la tradition ait conservés dans la bouche du peuple allemand. J’ai lu cette chanson pour la première fois dans l’ouvrage de Kornmann. Prétorius la lui a empruntée presque littéralement, et c’est d’après lui que les compilateurs du Wunderhorn l’ont réimprimée. Il est difficile de fixer d’une manière positive l’époque à laquelle remonte la tradition du Tannhaeuser. On la retrouve déjà sur des pages volantes des plus anciennement imprimées. Il en existe une version moderne, qui n’a de commun avec le poème original qu’une certaine vérité de sentiment. Comme j’en possède sans nul doute le seul exemplaire, je vais publier ici ce Tannhaeuser modernisé :

« Bons chrétiens, ne vous laissez pas envelopper dans les filets de Satan ; c’est pour édifier votre âme que j’entonne la chanson du Tannhaeuser.

« Le noble Tannhaeuser, ce brave chevalier, voulait goûter amours et plaisirs, et il se rendit à la montagne de Vénus, où il resta sept ans durant.

« O Vénus, ma belle dame, je te fais mes adieux. Ma gracieuse mie, je ne veux plus demeurer avec toi ; tu vas me laisser partir.

« — Tannhaeuser, mon brave chevalier, tu ne m’as pas embrassée aujourd’hui. Allons, viens vite m’embrasser, et dis-moi ce dont tu as à te plaindre.

« N’ai-je pas versé chaque jour dans ta coupe les vins les plus exquis, et n’ai-je pas chaque jour couronné ta tête de roses ?