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solubilité est comme le trait d’union des deux mariages, aujourd’hui indépendans l’un de l’autre ; c’est leur caractère commun. D’ailleurs la jurisprudence, les mœurs, ne viennent-elles pas perpétuellement à l’appui de cette puissance mystérieuse que le principe religieux exerce sur la loi civile sans l’asservir. Aucun article du code n’interdit le mariage des prêtres, et cependant la jurisprudence ne le sanctionne pas. Qu’on observe les mœurs d’un autre côté : existe-t-il beaucoup de mariages purement civils ? Les indifférens eux-mêmes ne viennent-ils pas réclamer la sanction de l’église ? Nous savons bien que M. Sauzet tire justement de là un argument : il montre la loi muette, dépourvue de toute pensée d’une sanction divine, et les mœurs au contraire invinciblement soumises à cette prescription universelle du mariage religieux, d’où il conclut que la loi n’est point l’expression des mœurs. Mais en réalité ceci n’est que spécieux ; quand on juge de plus haut la loi, la jurisprudence, les mœurs, tout cela se complète et se confond pour donner la mesure de ce qu’est une institution dans une société bien organisée, et nous avons le droit de dire que dans la société française le mariage, tel qu’il existe, tel qu’il ressort des mœurs, de la loi, de la jurisprudence, n’est nullement en contradiction avec le principe religieux.

La loi civile est indépendante, avons-nous dit, de la loi religieuse, voilà tout, et elle ne peut être autre chose dans une société où la liberté des cultes existe. Quand on dit qu’elle est athée, pense-t-on qu’on l’aurait beaucoup améliorée lorsque, par l’obligation du mariage religieux, elle se trouverait faire tour à tour profession de catholicisme, de protestantisme, de judaïsme ? N’est-ce point alors qu’elle pourrait être justement suspecte par cette promiscuité de tous les cultes ? Mais ceci n’est encore qu’un inconvénient. M. Sauzet et M. de Vatimesnil, qui s’est fait l’appui de cette proposition, sont assurément d’habiles jurisconsultes : ont-ils réfléchi cependant aux innombrables difficultés qui pouvaient naître de cette confusion nouvelle du droit civil et du droit religieux ? Quand ces difficultés se présenteront, qui aura qualité pour les résoudre ? Sera-ce l’autorité religieuse ? Mais alors c’est une révolution complète dans le principe même du droit moderne ; la vie civile passe tout entière dans le domaine religieux. Sera-ce une autorité laïque, un tribunal ? Mais de quel droit le magistral se fera-t-il juge des motifs que le prêtre puise dans sa conscience, ou dans le droit ecclésiastique, pour refuser, par exemple, la consécration religieuse à un mariage ? Et s’il le fait, nous aurons alors des mariages bénis par autorité de justice ; nous reviendrons au dernier siècle, où le parlement décrétait de prise de corps le curé de Saint-Étienne-du-Mont pour refus de sacrement à un janséniste. M. Sauzet pense-t-il que cette législation des Deux-Siciles, qu’il propose pour modèle à la France, soit elle-même sans inconvéniens, qu’elle ne contienne le germe d’aucune de ces complications dont mais parlons ? La loi napolitaine, en effet, ne reconnaît la validité de l’acte civil que s’il est suivi du mariage religieux ; d’un autre côté, le mariage religieux n’a d’effets civils que s’il a été précédé des actes légaux devant l’autorité civile ; cela semble assez simple. Qu’en est-il résulté cependant ? C’est que dans bien des cas, soit par l’influence prépondérante de l’église, soit par tout autre motif, les formalités civiles ont été négligées, la bénédiction du prêtre a seule consacré les alliances, et il s’est trouvé une