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étonner, d’abord parce qu’il est dans la nature de cette affaire, par les complications et le mystère qui l’environnent, d’éveiller les suppositions, les conjectures, les commentaires de toute sorte, ensuite parce qu’il n’est rien de tel que de ne point savoir le vrai des choses pour tout imaginer ; mais la part de l’exagération convenablement faite, il n’en subsiste pas moins un fond très réel, il n’en reste pas moins un intérêt de premier ordre qui survit aux émotions passagères. Tout ce qui peut ramener la mission du prince Menschikoff à des proportions plus simples, tous les arrangemens dictés par le désir et le besoin de la paix, ne sauraient empêcher qu’il ne s’agite là cette question redoutable du démembrement plus ou moins lointain d’un empire, et d’un déplacement profond dans l’influence et la situation réciproques des puissances occidentales. Depuis plus d’un demi-siècle que cette question est née pour L’Europe, et qu’elle se représente périodiquement, on peut dire que chaque fois elle prend un aspect plus décisif et plus menaçant. Chose bien simple : plus on va, plus les faits se précipitent, plus la dissolution de l’empire ottoman se manifeste comme une inexorable fatalité, et plus aussi les convoitises se pressent et les ambitions se dessinent, il est des momens où cette question semble s’assoupir ; il en est d’autres où il suffit d’un souffle pour la réveiller et la montrer dans ce qu’elle a de saisissant et de formidable.

Autant qu’on en puisse juger, quelle était en réalité la véritable nature des complications récentes, et comment sont-elles nées ? Le point de départ, ou plutôt le prétexte, semble avoir été ce qu’on a nommé la question des lieux saints. Les réclamations de la France étaient certes on ne peut plus simples ; elles se fondaient sur des stipulations formelles, sur des traités qui datent de plus d’un siècle, pour revendiquer un droit sur quelques sanctuaires de la Terre-Sainte. Les réclamations n’allaient pas même à la limite du droit, et on peut ajouter que les concessions du gouvernement turc sont loin d’avoir atteint la limite des réclamations. Dans tous les cas, ce n’est point sérieusement que la France eût pu être soupçonnée de préméditations usurpatrices ; mais c’était assez pour qu’à côté de l’influence latine faisant un effort pour renaître, l’influence grecque, bien autrement active, bien autrement prépondérante, cherchât à se faire sentir parmi les populations chrétiennes de l’Orient. De là, pour la Turquie, une série d’inextricables embarras. Dans ces derniers temps, ç’a été un autre incident à l’occasion du Monténégro, que le gouvernement turc avait fait maladroitement envahir par son armée. L’Autriche a choisi ce moment pour faire parvenir à Constantinople un ensemble de réclamations par lesquelles elle demandait l’évacuation du Monténégro par les troupes turques, l’internement de tous les réfugiés et des renégats, des indemnités pour des sujets autrichiens lésés dans leurs intérêts, la possession de deux ports dans l’Adriatique, la répression de sévices exercés contre des chrétiens de la Bosnie. Il pouvait y avoir de la justice, dans plus d’un grief de l’Autriche ; mais la mission du comte de Leiningen ne laissait point que d’être étrange. Ce n’était point une négociation, c’était une sommation sans réplique, un ultimatum hautain. Le divan n’a pu que plier la tête devant la menace, et comme rien ne vient à point à ceux qui tombent, les troupes turques ont réussi encore à se faire mettre en déroute dans leur