Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/190

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans un ample repas gaîment vidaient leurs verres.
Cette fois la maison qui recevait les frères
S’ouvrait devant le port où, comme un alcyon,
Un bateau neuf flottait avec son pavillon.
Le nom de Colomba brillait sur la chaloupe,
Et des fleurs l’entouraient de l’avant à la poupe :
Le recteur, invité comme un père, arriva
Présider au festin ; puis, quand tout s’acheva,
Il marcha vers le port en long surplis de neige :
Leurs cierges allumés, tous lui faisaient cortège ;
La femme du vieux Coulm venait au dernier rang,
Les mains jointes, les yeux attendris et pleurant,
Et chacun, à la voir passer si radieuse,
Disait avec amour : Oh ! la religieuse !
La peuplade d’Enn-Tell encombrait le chantier ;
Le mousse fièrement portait le bénitier :
L’encensoir au novice ; enfin, selon le rite,
On fit brûler l’encens, on jeta l’eau bénite,
Et cent voix appelaient la divine bonté
Sur la barque de chêne, œuvre de charité.
Aussitôt les pêcheurs quittèrent le rivage,
Criant aux campagnards qui leur disaient : courage !
« Amis, laissez demain ouvertes vos maisons,
Car nous voulons couvrir vos tables de poissons. »
Et les rames en main, oubliant leur souffrance,
Ils entonnaient encor la chanson d’espérance :

Jésus nous conduira sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.

Cantique doux et fort, qui les menez sur l’onde,
Accompagnez partout les voyageurs du monde !
Faites leur esprit fier, leur cœur simple et léger !
Qu’ils regardent le but plutôt que le danger !
Heureux l’humble de cœur, honneur au magnanime
Qui, les voiles au vent, va chantant sur l’abîme !


A. Brizeux.