mais dans la société comme dans la littérature la plupart des intelligences n’y avaient acquis que l’apparence de la gravité, tout au plus la bonne volonté de la réflexion : on y avait gagné l'Encyclopédie des Dames, et guère autre chose. On raisonnait fort, mais à la volée ; on rabâchait les théories entendues ça et là. L’esprit était devenu moins évaporé sans être moins faux, et de même que l’homme à la mode de petit-maître s’était fait élégant, c’est-à-dire aussi fat, mais plus calme, plus étudié, moins vif et moins abandonné, l’esprit à son tour avait recherché des allures moins frivoles ; mais il n’avait pris de la philosophie que, sa perruque. Il fallait toujours aiguiser des phrases, se faire lire comme d’Alembert « à force de subtilités, contourner ses expressions et habiller les pensées les plus communes sous forme épigrammatiques, » ou bien, comme Chamfort on cherchait à étonner par une sorte d’observation qui simulait la profondeur, et qui n’était qu’un rapprochement inusité entre deux idées vulgaires rendues dans une phrase arrogante et saccadée.
En somme, au commencement du siècle, on parlait des riens avec importance ; à la fin, on parlait des choses graves sans guère les comprendre ; le bel esprit prétentieusement empesé et profond avait remplacé le bel esprit prétentieusement leste et pimpant ; La Louptière et Dorat étaient devenus Rivarol et Chamfort. La philosophie l’emportait sur la cour, les rubans étaient vaincus par la chimie amusante, et la poésie légère par les romans traduits de l’anglais. C’était là que l’esprit avait mené la nation française, à copier l’Angleterre, babils, idées, littérature, et cet esprit qu’on nous donne comme l’esprit français, comme le cachet de notre nature, la qualité exclusivement nationale, n’avait pu nous mener qu’à l’imitation des modes d’un autre pays. On sait quelle fut la fin de cette corruption ; déjà, et avant la terreur, l’esprit avait été puni dans son orgueil, si je puis dire, et d’une étrange manière. Nous avons vu la poésie légère donner à cet esprit une activité puérile en dehors du sens commun, de la vérité morale et littéraire ; elle avait ainsi complètement préparé l’intelligence aux fausses théories du philosophisme. Puis cette fièvre malsaine et continue de l’esprit et de l’imagination, cet égarement de l’intelligence, avaient bouleversé toutes nos notions instinctives du bien, jeté toutes les consciences hors de la droiture, de la réflexion calme, et enfin avaient entraîné toutes les âmes vives, lais les cœurs ardens vers un amour insensé du bizarre, du mystérieux et du surnaturel. Depuis les miracles des jansénistes, les étranges folies des convulsionnaires, jusqu’au charlatanisme des Cagliostro, des Mesmer et des Casanova, le XVIIIe siècle n’avait échappé à aucune hallucination. La magie et la cabale, publiaient à voix haute leurs étranges promesses. Toutes ces folies de l’orgueil de l’homme, mais ces restes de l’idolâtrie que le christianisme n’avait point détruits et ne détruira point, car ils sont la puissance du mal ici-bas, les incantations, les apparitions, les divinations, toutes les sorcelleries avaient vu renaître les plus beaux jours de leur influence, et cette insensée préoccupation du monde surnaturel paraissait la seule activité morale de cette société, quand on entendit les premiers grondemens de la tempête qui devait emporter tous ces rêves. C’est ainsi que Dieu avait défendu la foi contre les témérités philosophiques, en jetant les disciples des faux philosophes en pâture à toutes les superstitions dont le moyen âge lui-même avait eu horreur, et c’est ainsi