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puisqu’il plaît aujourd’hui à quelques écrivains de se renfermer dans ce XVIIIe siècle, est-ce au milieu de ces puissans, ou élevés, ou sincères esprits qu’ils vont chercher leurs modèles ? Non, ils s’inquiètent peu de Montesquieu ou de Rousseau, il leur faut des ancêtres à leur taille : ils ne voient dans le XVIIIe siècle que ce qui brille, et du plus faux, du plus triste éclat, et toute leur attention s’est portée sur cette partie de la littérature qu’on appelle vulgairement les belles-lettres, c’est là justement, nous allons le voir, que s’était le mieux développé ce germe de corruption que nous avons signalé, et que la décrépitude était arrivée à toute son expansion ; là s’était concentré l’effort de ces deux influences destructrices : le libertinage et le bel esprit.


II

La littérature du XVIIIe siècle est une littérature féminine, et si l’on voulait la personnifier dans l’histoire, il faudrait la revêtir des habits et des manières, du caractère et des idées qui sont propres à la femme de ce temps ; il ne faudrait surtout pas oublier ce pied de rouge qui était d’étiquette pour la grande dame présentée et en possession des honneurs du Louvre. Voisenon dit dans ses Contes que les femmes n’ont « qu’une idée, qu’elles subdivisent en petites pensées luisantes, » et que tout « leur art n’est que de hacher l’esprit. » Voisenon fait là le portrait de son propre style, mais c’est bien aussi le portrait de la femme seulement spirituelle, et c’est incontestablement l’histoire de la frivole littérature dont on essaie aujourd’hui la réhabilitation.

Cette littérature a en effet reçu une éducation féminine ; elle est née de la femme, elle est dirigée, protégée par elle ; elle suit les mêmes lois de développement. Toute son ambition est de lui plaire, et c’est seulement en la comparant avec la femme qu’on peut expliquer ses qualités et ses défauts, son caractère et son activité particulière. C’est par là seulement qu’on peut comprendre cette infirmité dont elle est frappée, et que nous pouvons définir en disant que la littérature du XVIIIe siècle n’a été qu’une conversation : cailletage et poésie légère dans les boudoirs, commérage, nouvelles à la main, épigrammes et calomnies dans les bureaux d’esprit, obscène dans les coulisses ou infâme dans les petits soupers, toujours elle a été la même, et toujours elle est une causerie. Aussi est-elle fugitive et inféconde comme la conversation ; elle ne laissera comme elle aucun monument, et quand les collectionneurs d’anciens bons mots essaieront de la ressusciter, elle ne sera jamais pour nous que ce que sont pour l’homme à jeun les calembours de la dernière orgie.

C’était dans les boudoirs qu’était née cette littérature, et toujours elle devait conserver le souvenir de sa naissance. Exposée à plus d’infortunes que la fiancée du roi de Garbe, on la verra changer souvent de vêtemens, – ce sera presque toute son occupation, – souvent de visage, plus souvent de fard ; mais elle n’oubliera jamais les falbalas ni les grâces fictives de sa première enfance. Sous le cotillon de bure de Favart, sous le masque hargneux de Chamfort, elle exhalera les mille parfums du boudoir, et cette bure sera plus luisante que le satin, ce masque aussi prétentieux qu’un madrigal. Dans la