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ou s’étendait sur des couches de pourpre pour savourer les plaisirs du repos sacré, et quelquefois aussi pour goûter de plus douces jouissances… Ces joies, ces rires bruyans se sont depuis longtemps évanouis. Dans les ruines des temples vivent bien encore les anciennes divinités, mais dans la croyance populaire elles ont perdu toute puissance par le triomphe du Christ : ce ne sont plus que de méchans démons qui, se tenant cachés durant le jour, sortent, la nuit venue, de leurs demeures, et revêtent une forme gracieuse pour égarer les pauvres voyageurs et pour tendre les pièges aux téméraires !

À cette croyance populaire se rattachent les traditions les plus merveilleuses. C’est à sa source que les poètes allemands ont puisé les sujets de leurs plus belles inspirations. L’Italie est ordinairement la scène choisie par eux, et le héros de l’aventure est quelque chevalier allemand qui, autant à cause des charmes de sa jeunesse qu’à cause de son inexpérience, est attiré par de beaux démons et enlacé dans leurs filets trompeurs. Un beau jour d’automne, le chevalier se promène seul, loin de toute habitation, rêvant aux forêts de son pays et à la blonde jeune fille qu’il a laissée sur la terre natale, le jeune freluquet ! Tout à coup il rencontre une statue et s’arrête comme ébahi. Ne serait-ce pas la déesse de la beauté ? Il est face à face avec elle, et son jeune cœur est sous l’attrait du charme antique. En croira-t-il ses yeux ? Jamais il n’a vu des formes aussi gracieuses. Il pressent sous ce marbre une vie plus ardente que celle qui coule sous les joues empourprées des jeunes filles de son pays. Ces yeux blancs lui dardent des regards à la fois si voluptueux et si langoureusement tristes, que sa poitrine se gonfle d’amour et de pitié, de pitié et d’amour. Dès lors il erre souvent à travers les ruines, et l’on s’étonne de ne plus le voir assister ni aux orgies des buveurs ni aux jeux des chevaliers. Ses promenades deviennent bientôt le sujet de bruits étranges. Un matin, le jeune fou rentre précipitamment dans son Hôtellerie, le visage pâle et décomposé : il solde ce qu’il doit, fait sa valise et se hâte de repasser les Alpes.

Que lui est-il donc, advenu ?

Un jour, dit-on, il s’achemina plus tard que de coutume vers les ruines qu’il chérissait tant. Le soleil était couché, et les ombres de la nuit lui voilaient les lieux où chaque jour il contemplait pendant des heures entières la statue de sa belle déesse. Après avoir erré longtemps à l’aventure, il se trouva en face d’une villa qu’il n’avait jamais aperçue dans cette contrée. Quel fut son étonnement, lorsqu’il en vit sortir des valets qui vinrent, flambeaux en main, l’inviter à y passer la nuit ! Cet étonnement redoubla, lorsqu’au milieu d’une salle vaste et éclairée, il aperçut, se promenant seule, une femme qui, dans sa taille et ses traits, offrait la plus intime ressemblance