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au sujet de l’arrivée de Kossuth et de l’effet que ses discours ont produit sur l’opinion. L’enthousiasme pour sa personne et son talent d’orateur dure encore. Ce talent est vraiment extraordinaire : je ne crois pas qu’il y ait un autre exemple d’un homme improvisant avec cette éloquence dans une langue qui n’est pas la sienne : mais on commence à blâmer son début. Après avoir montré tant de tact dans les paroles qu’il a adressées aux Anglais, il n’a pas bien pris les Américains. Le pied à peine posé sur leur sol, il leur a mis pour ainsi dire le marché à la main, demandant qu’ils consentissent à prêter un appui moral à la cause de la Hongrie. Au milieu de l’excitation du moment, le bon sens américain ne s’est pas endormi. On a compris à quoi pouvait conduire cet appui moral. L’opinion publique a reculé, comme craignant une surprise. J’ai rencontré déjà des partisans de Kossuth consternés d’être obligés de le désapprouver. Ceux au contraire qui craignaient son influence sont ravis de le voir mal engagé. On croit qu’il n’a pas été bien dirigé. Pour m’expliquer ce défaut d’habileté en Amérique chez un homme qui a montré tant d’habileté en Angleterre, je suppose qu’on lui aura dit : Les Américains sont ardens et leurs ardeurs ne durent pas ; profitez de l’enthousiasme du premier moment, demandez, obtenez d’abord, et ensuite ils ne pourront plus reculer. — Mais on ne fait pas faire facilement aux Américains un marché malgré eux. Au milieu du transport qui semblait les aveugler, ils ont vu le piège, et ils ont reculé, comme ces hommes qui, dans l’ivresse, suivent leur chemin et rasent le fossé sans y tomber. Kossuth aura encore des ovations, mais je crois qu’il n’obtiendra nul appui sérieux de l’Amérique.

Je vois tomber d’accord sur ce point les hommes des deux partis : les démocrates avec répugnance, et les whigs avec empressement. Le bon sens l’emporte chez les uns comme chez les autres. Chaque jour, du reste, je puis me convaincre davantage combien les nuances de parti empêchent peu ici les citoyens éclairés de s’entendre sur ce qui est fondamental dans la politique de leur pays. Je demande la permission de citer pour exemple deux des hommes que je vois et considère le plus, — M. Sedgwick, démocrate sage, et M. Kent, whig éclairé. M. Sedgwick, avec lequel je suis venu d’Europe, a été ma providence en Amérique. Partout ses recommandations m’ont suivi et m’ont protégé auprès des hommes de tous les partis. Le premier Américain qu’il m’a présenté était un planteur virginien. Il l’a fait en ces termes : « Voilà M. H…, affreux aristocrate que j’aime beaucoup. » Et le très-aimable aristocrate le lui rendait bien. Comment n’aimerait-on pas M. Sedgwick, avec la franchise de ses manières, la loyauté de son caractère, la vivacité et l’ouverture de son esprit ? Pendant que j’étais à New-York, bien peu de jours se sont écoulés