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qu’un jour, dans le royaume céleste, nous serons dédommagés des coups que nous avons reçus ici-bas.

Je reviens au triomphe du christianisme sur le paganisme. Je ne suis nullement de l’avis de mon ami Kitzler, qui blâmait avec tant d’amertume le zèle iconoclaste des premiers chrétiens. Je pense au contraire que ceux-ci ne devaient et ne pouvaient épargner les vieux temples et les antiques statues, car dans ces monumens vivaient encore cette ancienne sérénité grecque et ces mœurs joyeuses qui, aux yeux des fidèles, relèvent du domaine de Satan. Dans les statues et dans les temples, le chrétien ne voyait pas seulement l’objet d’un culte vide et d’une vaine erreur ; non, il regardait ces temples comme les forteresses de Satan, et les dieux que ces statues représentaient, il les croyait animés d’une existence réelle : selon lui, c’étaient autant de démons. Aussi les premiers chrétiens refusèrent-ils toujours de sacrifier aux dieux et de s’agenouiller devant leurs simulacres, et quand, pour ce fait, ils furent accusés et traînés devant les tribunaux, ils répondirent toujours qu’ils ne devaient pas adorer les démons. Ils aimèrent mieux souffrir le martyre que de montrer la moindre vénération pour ce diable de Jupiter, cette diablesse de Diane et cette archidiablesse de Vénus.

Pauvres philosophes grecs, qui n’avez jamais pu comprendre ce refus bizarre, vous n’avez pas compris non plus que, dans votre polémique avec les chrétiens, vous n’aviez pas à défendre une doctrine morte, mais de vivantes réalités ! Il n’importait pas en effet de donner par des subtilités néo-platoniciennes une signification plus profonde à la mythologie, d’infuser aux dieux défunts une nouvelle vie, un nouveau sang symbolique, de se tuer à réfuter la polémique grossière et matérielle de ces premiers pères de l’église, qui attaquaient, par des plaisanteries presque voltairiennes, la moralité des dieux ! — Il importait plutôt de défendre l’essence de l’hellénisme, la manière de penser et de sentir, toute la vie de la société hellénique, et de s’opposer avec force à la propagation des idées et des sentimens sociaux importés de la Judée. La véritable question était de savoir si le monde devait appartenir dorénavant à ce judaïsme spiritualiste que prêchaient ces Nazaréens mélancoliques qui bannirent de la vie toutes les joies humaines pour les reléguer dans les espaces célestes, — ou si le monde devait demeurer sous la joyeuse puissance de l’esprit grec, qui avait érigé le culte du beau et fait épanouir toutes les magnificences de la terre ! — Peu importait l’existence des dieux : personne ne croyait plus à ces habitans de l’Olympe parfumé d’ambroisie ; mais en revanche quels amusemens divins on trouvait dans leurs temples aux jours des fêtes et des mystères ! On y dansait somptueusement, le front ceint de fleurs ;