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mais qui ne l’était point. C’est ce qu’a toujours affirmé la femme de Williams. De plus, le nom de ce prétendu fils ne se trouve point sur les registres où il est fait mention de la naissance des autres enfans de Williams. Il y a quelques années, mourut à la Nouvelle-Orléans un Français dont le nom était, je crois, Belley. Sur son lit de mort, il déclara que le dauphin avait été enlevé du Temple, qu’on lui avait substitué un autre enfant ; que lui, Belley, avait amené le jeune prince en Amérique ; qu’effrayé des sentimens révolutionnaires du citoyen Genet, représentant très violent de la république française, il l’avait conduit chez des Indiens et confié à Williams.

Quant à Eléazar Williams, il n’a aucune mémoire de sa première enfance (on a dit que les affreux traitemens de Simon avaient détruit l’intelligence[1] chez sa touchante victime) ; seulement le prédicateur méthodiste croit se souvenir vaguement qu’il était assis sur les genoux d’une dame autour de laquelle il y avait des têtes poudrées et des « paillettes. À cela près, il ne se l’appelle rien de tout l’espace de temps écoulé avant un certain jour où, tandis qu’il nageait dans un lac avec de petits sauvages, son front heurta un rocher. Dès ce moment, ses réminiscences sont distinctes. Il affirme qu’un Français venu chez les sauvages au milieu desquels il vivait dit en le montrant : Voici un fils de roi. Son éducation a été payée très exactement, dans un collège que M. Spencer m’a nommé, par l’Indien Williams, qui, comme tous les sauvages à demi civilisés, était grand buveur d’eau-de-vie, n’avait jamais un sou et n’a point fait donner d’éducation à ses véritables enfans. La veuve de Williams possédait une médaille en bronze sur laquelle était représenté le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Elle disait que son mari en avait eu deux autres, une en or et une en argent ; qu’il les avait vendues pour boire, et qu’elle avait sauvé la troisième. On lit dans certains mémoires du temps (je n’ai pas vérifié la citation) qu’un jour Simon, dans un de ces accès de brutalité auxquels il était sujet, frappa le dauphin au visage avec une serviette, et que le clou qui tenait la serviette accrochée à la muraille blessa le nez du malheureux enfant, près de l’œil. Éléazar Williams a une cicatrice en cet endroit. Comme on lui montrait des autographes sans lui laisser voir les signatures, à l’aspect d’un de ces autographes il fut saisi d’horreur et d’une sorte d’effroi : c’était l’écriture de Simon. Enfin, quand le prince de Joinville est venu aux États-Unis, il s’est détourné de son chemin pour aller voir Williams, qui était en ce moment chez les Indiens, aux environs de Green-Bay. Ils ont parlé plusieurs heures ensemble. Williams refuse

  1. M. de Beauchesne, dans l’histoire si complète du malheureux enfant royal, établit au contraire qu’il avait toute son intelligence à ses derniers momens. Cette histoire est aussi très contraire à la supposition qu’un autre enfant ait pu être substitué au jeune prince.