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ne peut supprimer la réalité d’un mal inhérent à la nature même des choses. Ce qui est possible, ce n’est pas de le nier, c’est de le combattre ; or l’auteur de la Démocratie en Amérique l’a signalé pour qu’il fût combattu aux États-Unis et ailleurs. Je persiste à croire qu’il a mis le doigt sur la plaie, et averti par là de chercher le remède, ce qui était rendre le plus grand service possible à la démocratie américaine et à tous les pays démocratiques, et j’ose conseiller à ces pays, quels qu’ils soient, de ne pas oublier que, s’ils veulent être libres, ils doivent défendre la liberté contre le despotisme de la démocratie. Je soumets de loin à M. Spencer lui-même ces observations ; je n’ai rien de meilleur à lui offrir que ma franchise pour le remercier de l’hommage qu’il a rendu au livre de mon ami et de l’accueil hospitalier que j’ai reçu de lui en considération même de cet ami.

Du reste, on ne saurait rencontrer une conversation politique plus instructive que celle de M. Spencer ; en sa qualité de whig, il a toujours défendu de sa parole et de sa plume le droit que réclame le gouvernement fédéral d’établir les voies de communication à travers les différens états, en laissant à ceux-ci la police et l’administration des travaux. Tout ce qui se rapporte à l’intérêt général d’après la lettre et l’esprit de la constitution est dévolu au congrès. Les whigs sensés conviennent qu’il y a quelque chose de fondé dans les plaintes des démocrates, que leurs adversaires ont quelquefois gaspillé les finances dans un intérêt électoral, qu’on a mis des payeurs dans des rues qui n’avaient pas besoin d’être payées, pour faire travailler des Irlandais et s’assurer des votes ; mais ils pensent que ces abus partiels ne doivent point prévaloir contre un principe constitutionnel et d’utilité générale. Nous savons trop en France combien les intérêts particuliers ont combattu et retardé les grandes lignes de chemins de fer pour que je ne me sente pas sur ce point aussi bon whig que M. Spencer, bien que je ne me permette guère d’avoir une opinion touchant les questions qui divisent les partis dans un pays où je n’ai pas vécu.

Voici un fait étranger à ces questions, mais assez bizarre pour être recueilli, que je tiens de M. Spencer et qui regarde la France, car il s’agit d’un nouveau prétendant. On va voir, il est vrai, qu’il n’est pas très dangereux ni surtout très pressé de régner.

Aujourd’hui vit dans la ville d’Albany, quand il n’est pas occupé à prêcher quelques tribus d’Indiens qui existent encore à Green-Bay, près du lac Michigan, un ministre de la secte des méthodistes. Son nom est Éléazar Williams ; il a tout juste l’âge qu’aurait le dernier dauphin, et ressemble d’une manière frappante à la fois au roi Louis XVI et à la reine Marie Antoinette. Ce Williams a été élevé par un Indien nommé comme lui Williams, et qui passait pour son père,