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châteaux, parure féodale de ses rives. Un jeune Américain qui revient d’Europe n’est pas de cet avis. Il me dit avec un accent de triomphe : « Les pages de notre histoire sont pures ; nous n’avons point de castels féodaux ! » Pour moi, je lui demande qu’il me permette d’aimer de la féodalité au moins ses ruines. Si L’Hudson l’emporte sur le Rhin, c’est par l’innombrable quantité de bateaux qui l’animent. On en peut toujours compter un grand nombre. Il semble qu’on navigue au milieu d’une flotte, et je me surprends à comparer ce que je vois au souvenir que m’ont laissé les mille voiles qui traversent perpétuellement le Sund.

West-Point est un des plus beaux sites des bords de l’Hudson. L’école militaire s’élève sur un plateau en face d’une courbe décrite par le fleuve, qui, aux deux extrémités de cette courbe, va se perdre derrière les montagnes. Du plateau de West-Point, la vue est admirable : c’est l’Ehrenbreitstein de l’Hudson. Le nom de West-Point rappelle un des épisodes les plus importans et les plus dramatiques de la guerre de l’indépendance : la trahison du général Arnold, qui pensa livrer aux Anglais celle de clé l’Hudson, et la mort du major André. Arnold avait commencé comme un héros et finit comme un infâme, blessé de quelques sévérités peut-être excessives et maladroites du congrès, ruiné par ses extravagances, il livra West-Point aux Anglais pour six mille livres sterling. Coriolan vénal, il a laissé une mémoire que le rôle éclatant qu’il avait joué au commencement de la révolution ne saurait racheter de l’immortalité du mépris. Le major André était un jeune officier anglais qui se chargea de négocier avec Arnold ; il fut arrêté par des milices déguisé et porteur de papiers que lui avait remis le général américain. André fut condamné comme espion à être pendu, et subit ce supplice. Washington, qui craignait un complot plus étendu, ne crut pas pouvoir lui épargner le gibet ; mais la noblesse de son caractère, la franchise de ses réponses, le charme de ses manières, la sympathie qui s’attache à la jeunesse, au dévouement et au malheur, excitèrent l’intérêt le plus vif et le plus douloureux parmi ceux mêmes qui durent le condamner. On ne prononce son nom qu’avec attendrissement, comme celui d’une victime de la guerre ; tout Américain maudit le crime d’Arnold, mais nul n’a le courage de maudire L’infortune du major André. — On ne connaît pas autant l’histoire tout à fait pareille d’un jeune Américain nommé Hale, qui, pris par les Anglais, subit le sort du major André. Hale ne fut pas entouré du même respect à ses derniers momens : on lui refusa un prêtre et une bible ; on détruisit les lettres qu’il avait écrites à sa sœur et à sa mère. Un de ceux qui le conduisaient au gibet lui dit : Voilà une cruelle mort pour un soldat ! Hale répondit seulement : Je regrette de n’avoir qu’une vie à sacrifier pour mon pays.