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de causes politiques et morales de nature à exercer leur pression sur les gouvernemens dans la crise si malheureusement créée par la diplomatie russe ; mais il y a aussi cette masse de travaux, d’opérations industrielles, d’entreprises commerciales, dont le mouvement serait aussitôt suspendu au premier bruit d’un conflit européen. Jamais il n’y eut peut-être un contraste plus complet entre les nécessités, les tendances évidentes de la civilisation et les agitations arbitraires de la politique. Si l’on y réfléchit bien, ce contraste même est une des raisons qui doivent faire croire à la paix, non certes à une paix achetée par des sacrifices de dignité, et de prépondérance légitime, mais à une paix conforme aux intérêts de l’Europe comme aux tendances de la civilisation. Ce sont là à coup sûr des considérations auxquelles l’empereur Nicolas lui-même ne saurait rester étranger. Si la crise actuelle est une épreuve pour la politique de tous les pays, elle l’est surtout à notre sens pour la politique russe : il s’agit pour celle-ci, après tout, de savoir si elle est contre l’Europe et contre la civilisation.

On n’aura point de peine à croire que ces graves complications absorbent aujourd’hui l’attention et suppléent aux incidens intérieurs. Elles réagissent sur la politique comme sur les intérêts, qui reçoivent le contre-coup de toutes les péripéties orientales. On les retrouve partout, un peu sous toutes les formes, servant d’aliment aux conversations et à la presse. C’est l’unique préoccupation de ces derniers temps, préoccupation certes suffisamment justifiée, si l’on songe à tous les intérêts qu’un bruit hasardé, une nouvelle avidemment recueillie rassure ou compromet tour à tour. Quant à la politique purement intérieure, elle est aussi peu que possible en ce moment, féconde en incidens. Le corps législatif et le sénat ont seulement l’un et l’autre, terminé leurs travaux annuels. Un rapport du président du corps législatif à l’empereur est venu, par un usage nouveau, résumer les fruits de cette carrière de trois mois, et certes on ne pourrait dire qu’elle ait été stérile en votes de tout genre. Cent soixante-deux lois ont été délibérées et votées dans la session législative. Parmi ces lois, les principales, on le sait, sont celles sur les pensions civiles, sur le jury, sur l’état-major général de la flotte, sur divers chemins de fer, sans parler du budget. Mais n’est-ce point là vraiment une histoire rétrospective ? Complications au dehors, stagnation au dedans, tel est donc le double trait de la situation actuelle, et tandis que la politique passe par ces alternatives, revêt ces formes diverses, se ravive sous le coup d’événemens imprévus où s’allanguit dans l’absence de tout aliment intérieur, notre armée, indifférente à ces mouvemens, ou du moins placée assez loin pour ne ressentir que ce qui touche à la grandeur du pays, notre armée poursuit en Afrique une œuvre d’un autre genre, commencée depuis longtemps déjà ; elle travaille à soumettre les contrées encore rebelles. Une nouvelle expédition vient d’être entreprise dans la grande Kabylie, dans tous ces massifs où l’on a toujours craint de s’aventurer jusqu’ici. Cette expédition est commencée depuis quelques jours, et chaque étape nouvelle est marquée par quelque combat vaillamment livré, vaillamment soutenu contre une population belliqueuse. Toute cette guerre d’Afrique qui dure depuis plus de vingt ans, sauf quelques exceptions, ne compte point sans doute de grandes batailles ; mais ce qui est le plus remarquable, c’est cet héroïsme permanent, cette lutte