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prendre. Il en était ainsi lorsque, le 19 avril, le prince Menchikof renouvelait plus impérieusement ses instances, en précisant encore ses réclamations, qui portaient sur l’ensemble des difficultés nées à l’occasion des lieux saints et sur la signature de la convention déjà proposée, par lui, convention destinée à garantir par un engagement diplomatique l’existence des privilèges et immunités dont jouissent les églises grecques. Cette garantie forme l’article 1er du projet de traité russe, et, à vrai dire, quelque importance que puisse avoir le reste ; tout le traité est là, comme toute la mission du prince Menchikof est dans cette convention elle-même, qui aurait pour effet de constituer le protectorat de la Russie sur onze millions de sujets du sultan. Quant à l’affaire des lieux saints, la Porte ottomane rendait immédiatement des firmans qui faisaient droit à toutes les réclamations de l’envoyé russe. Pour le projet de traité, le cabinet turc s’est tenu dans la plus grande réserve, ne voulant point consentir à faire entrer dans une convention diplomatique, ce qu’il considérait comme un objet d’administration intérieure, dépendant uniquement de la prérogative souveraine du sultan. C’est alors que s’est produit, à la date du 5 mai, ce qu’on a nommé l’ultimatum du prince Menchikof, qui ne laissait plus à la Porte ottomane que quelques jours de délai. On sait le reste. Le cabinet ottoman a refusé de se soumettre aux conditions, de la Russie, appuyé dans cette résolution par la France et par l’Angleterre. Le prince Menchikof a quitté Constantinople sans avoir atteint le but de sa mission et en laissant le gouvernement turc sous la menace d’hostilités imminentes. La question est de savoir si, dans les propositions que le tsar vient, en ce moment même, de faire parvenir à Constantinople, il y a des modulations de nature à faciliter une transaction qui mette à couvert l’honneur et l’indépendance de l’empire ottoman.

Qune faut-il maintenant conclure de ce résumé des faits les plus récens ? Il est bien évident en premier lieu, comme nous l’avons dit déjà, que l’affaire des lieux saints était le moindre objet de la mission du prince Menchikof. Chose, étrange, même, c’est justement au moment où la Russie recevait pleine satisfaction sur ce point que la querelle s’est envenimée et a pris les proportions les plus extrêmes. Si, d’un autre côté, l’empereur Nicolas avait principalement en vue de protéger les populations de religion grecque dans leur culte, dans leurs immunités religieuses, le gouvernement turc s’offre de lui-même à reconnaître, de nouveau, à sanctionner ces immunités : il s’engage solennellement à les maintenir comme il les a maintenues jusqu’ici. Dans les derniers momens encore de la mission du prince Menchikof, le ministre des affaires étrangères du sultan, Rechid-Pacha, consignait dans une note diplomatique l’assurance qu’il ne serait point touché aux privilèges religieux des chrétiens grecs. Il ajoutait que les populations grecques bénéficieraient nécessairement de toute immunité nouvelle qui pourrait être accordée à une autre communion, qu’elles auraient toujours en un mot le traitement le plus favorisé, puisqu’on transporte dans ces matières le langage des conventions commerciales ! Ce qu’il y a de plus extraordinaire, cest que le prince Menchikof a protesté contre cette déclaration même, en tant, il est vrai, qu’elle ne s’appliquerait point au maintien de tous les privilèges autres que les privilèges religieux dont jouissent les églises grecques. Or c’est là peut-être le