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surtout qui se montra envers les gens de lettres d’une libéralité inconnue jusqu’alors. Sans doute il encourageait beaucoup plus efficacement les lettres en leur donnant conscience de leur valeur par sa déférence pour les écrivains, par sa familiarité avec eux, et quand il exigeait que Chapelain et Gombault ne lui parlassent que couverts[1], il servait mieux la littérature qu’en leur donnant des pensions, comme il le fit d’ailleurs. — Si l’on sait tant de gré à Louis XIV de sa munificence, au moins ne faut-il pas oublier celle de Richelieu. Il est vrai qu’immédiatement après la mort de son ministre, Louis XIII s’empressa de rayer de sa main toutes ces pensions[2]. Mazarin en rétablit quelques-unes, et, si l’on en croit Ménage, il avait fait dresser un rôle de toutes les personnes de lettres[3], auxquelles il voulait étendre ses libéralités, lorsque les troubles de la fronde et la guerre extérieure lui donnèrent d’autres préoccupations.

Parmi les pensionnaires de Richelieu et de Mazarin se trouvent deux noms qui eussent peut-être été moins favorisés sous Louis XIV : Descartes et Campanella. Lorsque les restes du premier furent rapportés en France sous Louis XIV, un ordre de la cour défendit de prononcer son oraison funèbre. Quant à Campanella, il est permis de croire que ses témérités de tout genre auraient effrayé ceux que la prudence de Descartes ne rassurait point.

Louis XIV devenu roi, Colbert eut l’idée de donner des pensions à tous les auteurs qui semblaient tenir un rang distingué dans l’estime des contemporains. C’était lui qui, sous Mazarin, avait été chargé par ce ministre de faire dresser par Costar une liste des gens de lettres ; il n’eut qu’à faire revivre ce projet et à le faire approuver par Louis XIV. Déjà, depuis longtemps, le surintendant Fouquet avait ouvert sa cassette aux écrivains et aux savans, et parmi ses pensionnaires figuraient Corneille et La Fontaine. Après la disgrâce de Fouquet, à laquelle il n’avait pas peu contribué, Colbert crut qu’il était convenable que le roi se chargeât de cette portion de son héritage, et il fit dresser, par Costar et par Chapelain, deux listes des gens de lettres auxquels on pourrait accorder des pensions. De ces deux listes, on en fit une seule, devenue l’état des pensions de 1663, si souvent cité comme une véritable curiosité. Nous nous bornerons à rappeler que Chapelain s’y est fait la plus belle part, 3,000 livres,

  1. Aug. Thierry, Essai sur l’histoire du Tiers-État, 2e édit., p. 235.
  2. Tallemand. Edit. de 1843, t. IV, p, p. 144. Tallemand raconte ailleurs l’anecdote suivante : « M. de Schomberg dit à Louis XIII que Corneille voulait lui dédier Polyeucte. Cela lui fit peur, parce que Montauron avait donné 200 pistoles pour Cinna. « Il n’est pas nécessaire, dit-il. — Ah ! sire, reprit M. de Schomberg ce n’est point par intérêt. Bien donc, dit-il : il me fera plaisir. » Ce fut à la reine qu’on le dédia, car le roi mourut entre deux. » Tome III, p. 71.
  3. Ménagiana, t. Ier, p. 289.