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mot influence et quelques autres de même espèce semblent avoir été imaginés.

Depuis qu’un écrivain illustre, mêlant l’histoire et la biographie à l’étude des grandes œuvres de la pensée, a ouvert à la critique littéraire une voie nouvelle, bien des gens s’y sont précipités à sa suite ; mais, comme ils n’avaient ni le bon sens exquis, ni les lumières de M. Villemain, ils n’ont pas manqué de s’égarer. Les biographies des écrivains fameux sont devenues interminables, — non qu’on y ajoutât beaucoup de faits nouveaux ; mais des rapprochemens forcés, des rapports imaginaires ont servi à expliquer ce qu’il y a de plus inexplicable peut-être, le mystérieux développement de leur génie. J’imagine que Corneille et Molière riraient bien, s’ils pouvaient connaître les intentions qu’on leur prête et les influences qu’ils sont censés avoir subies. Ils verraient leurs inspirations interprétées par des causes tour à tour grandioses ou mesquines, également chimériques, toujours subtiles et raffinées ; les secrets les plus intimes de leur conscience littéraire exposés avec une intrépidité sans égale par des gens qui, vivant à deux siècles de distance, ne les connaissent que par leurs œuvres et par quelques anecdotes plus ou moins authentiques. Molière serait probablement un peu surpris d’apprendre, de la bouche de ses trop ingénieux commentateurs, quelles causes, toutes indubitables, quoique souvent contradictoires, ont déterminé la direction de son génie. Il saurait qu’il n’y a pas un de ses personnages qui ne soit le portrait fidèle de quelqu’un de ses contemporains, pas un trait qu’il ne doive à quelque inconnu, pas une inspiration qui lui soit propre, — de sorte que sa part d’invention est aujourd’hui réduite à bien peu de chose, et que tout le monde, au XVIIe siècle, finit par être un peu plus l’auteur des œuvres de Molière que Molière lui-même. Quant à Corneille, on lui découvrirait des choses -non moins surprenantes ; on lui révélerait par exemple que, bien des années avant Polyeucte, la mère Angélique de Port-Royal ayant, pour compléter son renoncement au monde, refusé un jour la porte de son couvent à son père qui la venait voir, c’est probablement à cette grande journée du guichet, à ce coup d’état de la grâce, que le poète a dû les plus belles scènes de Polyeucte ; qu’en conséquence lui, l’élève et l’ami des jésuites, se trouve avoir beaucoup d’obligations aux jansénistes, et qu’il peut figurer avantageusement dans une histoire de Port-Roya, où un parallèle entre Polyeucte et la mère Angélique, entre Pauline et M. Arnauld père ne laisse pas de produire un fort bel effet. Quand la critique conjecturale va jusque-là, elle n’offre plus aucun danger, et l’on aurait tort de s’en plaindre : c’est un passe-temps comme un autre, et qu’on peut ranger parmi les jeux innocens ; mais parmi les lieux communs historiques auxquels la