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a scale so vast), le capitaine, Maury, dans une lettre adressée à un journal américain, saluant l’avenir du commerce qui réunira un jour le Mississipi et les grands fleuves de l’Amérique méridionale, s’écrie avec enthousiasme : « Le golfe du Mexique n’est qu’une expansion du Mississipi, comme la mer des Caraïbes n’est que l’expansion en une vaste nappe d’eau de l’Amazone, de l’Orénoque, de la Madeleine. Ces deux bras de l’Océan sont la source du grand courant marin (gulf stream). Les habitans de la vallée du Mississipi n’ont qu’à repousser du pied la pierre dont les lois commerciales ont scellé cette source, et eux et leurs enfans et les enfans de leurs enfans savoureront les douceurs et s’enivreront des richesses qui leur sont réservées, et il n’y aura personne pour se mettre entre ces biens et eux. » Telle est aujourd’hui la poésie du Mississipi, dans lequel on chercherait vainement ce vieux Meschacebée roulant à travers le silence des forêts primitives. L’Amérique d’Atala et des Natchez ne se retrouve plus guère ; mais au milieu de cette Amérique nouvelle qui l’a remplacée, l’imagination est comme hantée par les visions grandioses et brillantes dont elle a été nourrie. Ces souvenirs doivent m’être présens plus qu’à personne, à moi, qui ai eu pendant trente ans l’honneur d’approcher chaque jour le grand peintre du Nouveau-Monde, et qui me fais un devoir, puisque l’occasion s’en présente, de protester contre les attaques injustes que l’on n’a pas épargnées à cette noble mémoire.

À mesure qu’on avance à travers le delta du Mississipi, on voit le fleuve jaunâtre couler à pleins bords entre des rives basses, sous un ciel gris. Sur ces terres à fleur d’eau croissent confusément des arbres dont les branches se tordent en tous sens, et qui semblent faire des contorsions bizarres. En avant se montrent quelques touffes de palmiers nains ; au loin devant nous, le fleuve apparaît des deux côtés comme une corde noire tendue à l’horizon. Ce paysage n’est pas beau, ni laid non plus, mais grand et triste.

Le delta fait comme une pointe dans le golfe du Mexique, de sorte qu’on voit la mer à droite et à gauche par-delà une mince langue de terre, et qu’avant d’y être entré on en est comme environné. Sur les derniers prolongemens du sol américain ; il y a encore quelques maisons qui s’élèvent entre les roseaux ; le fil aérien du télégraphe électrique court à travers les airs, suspendu au-dessus des solitudes et apportant des nouvelles de la civilisation à ces régions perdues où la terre confine et se mêle à l’Océan. En contemplant le delta du Mississipi, je pense au Nil : même couleur des eaux, même horizon. Nés de causes analogues, tous les deltas se ressemblent. Si le temps était plus chaud, je verrais des caïmans dormir au soleil sur les bancs de sable, comme je le voyais faire aux crocodiles dans la Haute-Égypte.