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J’ai entendu plusieurs fois mon père me raconter que sa conviction sur ce point avait précédé toutes les autres, et combien il avait fait d’efforts on peut le dire, avec un désintéressement d’amour-propre vraiment admirable pour engager plusieurs savans français à adopter cette vérité nouvelle. Tous ceux qui l’ont connu rendront témoignage à cet amour de la vérité pour elle-même qui était chez lui une passion : peu lui importait d’attacher son nom à une découverte ; ce qui lui importait, c’était que la découverte fût faite.

M. Riddell a mis à notre disposition avec beaucoup d’obligeance une voiture pour aller visiter un point intéressant, le Schell-road, route dont les matériaux sont fournis par une coquille fossile qui se trouve là dans une prodigieuse abondance. Après avoir vu le Schell-road, nous avons suivi le bayou Saint-John, On appelle bayou des canaux qui coupent en tous sens le pays. Les environs du bayou Saint-John offrent un aspect singulier. Le canal se prolonge à travers des roseaux jaunâtres ; derrière des groupes de palmettos s’élèvent des arbres toujours verts ; sur le premier plan sont d’autres arbres dépouillés de leurs feuilles ; des voiles glissent sur le canal. C’est un peu la Hollande, mais près du tropique. Les marais pontins, quand Horace les traversait en bateau, devaient assez ressembler à cela. L’effet général du paysage est triste, mais ce paysage a un certain charme ; de jolies maisons apparaissent parmi les pins, les cyprès, les orangers et les magnolias ; le ciel est doux et pâle. Arrivés au bord du lac Pontchartrain, nous sommes dans la solitude et comme au bout du monde, mais on voit à quelque distance plusieurs steamers dont les cheminées fument et qui sont prêts à s’éloigner.

Je ne m’attendais pas à trouver l’Égypte à la Nouvelle-Orléans. Presque au moment de partir, j’ai appris que M. Gliddon venait d’arriver, et j’ai pu assister à l’ouverture de son cours sur les antiquités égyptiennes. M. Gliddon a résidé longtemps au Caire, et après s’être mis au courant des travaux qu’a créés en Europe l’impulsion donnée par le génie de Champollion, il a entrepris de faire connaître ces travaux à ses compatriotes. M. Gliddon a parcouru toutes les grandes villes des États-Unis en enseignant les principes de la lecture des hiéroglyphes, et en exposant les résultats de la science à un auditoire qui se renouvelait partout où le professeur portait son enseignement nomade. On ne croirait pas que la curiosité des Américains à l’endroit des hiéroglyphes et des momies ait pu faire une existence honorable à M. Gliddon. C’est pourtant ce qui est arrivé. J’ai assisté ici à la première leçon de ce propagateur zélé d’une science qui m’intéresse, et j’ai eu un vrai plaisir à le connaître personnellement. La salle du cours était tapissée de dessins et de peintures qui représentaient les principaux objets sur lesquels roulera l’enseignement de M. Gliddon.