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ADELINE PROTAT.

— Quelle peur vous m’avez faite, mignonne ! dit Lazare à voix basse, en se rapprochant d’Adeline.

— Vous me disiez que vous pensiez à moi, répondit de même la jeune fille. Vous voyez bien que non : si vous y aviez pensé, vous auriez mis vos guêtres, et si vous les aviez eues, je n’aurais pas eu peur, et si je n’avais pas eu peur, je n’aurais pas crié en voyant l’aspic.

— Mais puisque vous l’aviez aperçu, pourquoi avez-vous marché dessus ?

Tiens ! répondit Adeline, vous alliez y mettre le pied.

En entendant ce mot dit d’une manière si simple, et qui révélait tant de dévouement et d’amour, Lazare tomba aux genoux d’Adeline, et, les voyant ainsi, Cécile se détourna comme pour observer l’effet du soleil couchant.

Un quart d’heure après, la caravane était en route. Zéphyr avait voulu reprendre ses fonctions de cavalier servant auprès d’Adeline ; mais il trouva la place prise : Lazare menait par la bride l’âne qui portait la fille du sabotier et le dirigeait dans sa marche. L’apprenti se consola par l’abandon que Cécile lui fit de sa seconde monture, sur laquelle il fit à Montigny une nouvelle entrée triomphale. Ce retour en commun, avec le pensionnaire du bonhomme Protat, excita encore de nouveaux murmures parmi tous les habitans, qui prenaient le frais sur leur porte.


V. — le charivari.

Comme les promeneurs entraient dans la maison du sabotier, Madelon s’avança au-devant d’eux. La vieille servante paraissait tout affligée.

— Tu ne sais pas, Madelon, lui dit Adeline, j’ai cru que j’avais été piquée par une vipère dans la forêt. — Et elle lui fit le récit de l’aventure.

— Oh ! ma pauvre fille, dit la Madelon, tu ne t’es trompée que dans le nombre : ce n’est pas une vipère qui t’a mordue, c’est vingt, c’est cent. — Et elle entraîna dans sa chambre sa jeune maîtresse, tout effrayée de ces étranges paroles.

Au moment où Lazare, qui entrait le dernier, pénétrait dans la salle à manger, il aperçut Protat qui se tenait appuyé sur la table, le front dans ses mains. Quand il releva la tête, ayant reconnu le pas de son pensionnaire, celui-ci s’aperçut que le visage du sabotier était baigné de larmes et qu’il semblait vieilli d’une année.

— Qu’y a-t-il, père Protat ? s’écria Lazare, vraiment inquiet.

— Il y a, s’écria la Madelon, qui venait d’entrer soudainement, qu’on dit dans le pays… que vous êtes…