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âme. » Le pauvre acteur a dit que les circonstances l’avaient entraîné, qu’il était d’une société de tempérance (a tempérance man), qu’il aimait son chez-soi (home), et y vivait avec sa femme et ses enfans ; que s’il pouvait trouver un autre métier, même lui rapportant moins, il le prendrait avec empressement. Il me faisait l’effet du bon publicain, et je trouvais, très injustement peut-être, quelque chose de pharisaïque à ce ministre au nez pointu que je suppose être un méthodiste. On a parlé aussi d’un drame appelé l’Ivrogne, et qui peint les progrès de la passion depuis le premier verre d’eau-de-vie jusqu’au delirium tremens, pièce à laquelle, a dit le gros ministre, assistaient des clergymen, et qui a fait plus de bien que tous les sermons et toutes les lectures sur la tempérance.

J’ai causé avec un planteur de l’Alabama qui soutient, contrairement à ce qu’on dit dans le nord et, je crois, à la réalité, qu’on est beaucoup plus entreprenant dans le midi. Il prétend que c’est parce qu’on y étudie moins et qu’on s’y instruit par la pratique. Il m’a dit aussi que, bien que dans l’état d’Alabama il n’y ait presque point d’autre culture que le coton, on gagne à le faire venir manufacturé d’Europe. Cependant on commence à essayer des manufactures de coton dans le sud. Je pensais en l’écoutant que les Américains du nord auraient peut-être déjà plus avancé que ceux du midi cette fabrication d’un produit de leur sol.

Tout en causant ainsi théâtre, église, agriculture et industrie, nous arrivons au lac Pontchartrain, retrouvant ainsi les noms français, comme au Canada, à cette autre extrémité de la France américaine. Par une fatalité singulière, nous sommes entrés par la neige dans la Nouvelle-Orléans, où l’on se souvient à peine d’en avoir vu tomber. Cette neige ne peut durer, et d’ailleurs à trois jours d’ici est la Havane, où je suis bien sûr de n’en pas trouver.


Nouvelle-Orléans, 18 janvier.

Il est difficile d’être plus désappointé que je ne l’ai été en voyant la Nouvelle-Orléans à travers la neige et le brouillard ; mais, au bout de deux heures, je me promenais par un beau soleil dans les rues de la ville. Elle a ce caractère uniforme que présentent toutes les cités de l’Union au nord et au midi, sans grande différence, ce qu’au point de vue de l’art on pourrait appeler absence de caractère. Une affiche que je rencontre me prouve bien que je suis à la Louisiane et non dans la Nouvelle-Angleterre. Cette affiche annonce en grosses lettres une vente de terres et d’esclaves ; comme si c’était deux choses de même nature. L’un des esclaves à vendre est donné pour idiot ; vendre un idiot !

C’est seulement en arrivant à la Levée que j’ai eu le sentiment de la