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activité commerciale, à laquelle il nous avait accoutumés, si ce n’est lorsque nous serons à la Nouvelle-Orléans. Charleston est une cité tranquille. Il y a beaucoup d’arbres dans les rues, et, ce qui est assez nouveau pour nous, bon nombre de jardins. Les jardins sont rares à Boston, à New-York, à Philadelphie. Les terrains y ont trop de valeur et la spéculation sur les terrains trop d’activité. Ici, devant les portes des maisons, croissent des magnolias, des grenadiers, des azedarachs, qu’on appelle l’orgueil de l’Inde (pride of India). Ces maisons ont presque toutes de grandes vérandas, et en général deux étages de portiques. On sent l’influence du climat sur la disposition des demeures et sur le genre de vie des habitans. Nulle part je n’ai vu encore autant de maisons en pierre. En suivant une belle promenade le long d’une des deux rivières, on trouve tout de suite ce que je n’ai guère rencontré jusqu’ici dans une grande ville américaine, le calme et le silence. En face, de belles masses d’arbres offrent un aspect de forêt. À la porte de Boston, de New-York et de Philadelphie, la hache les aurait abattues depuis longtemps. Ici on a l’air moins pressé de détruire et de créer, d’agir et de vivre. Je jouis de ce calme, de cet air plus reposé de la ville et de la population. Tout cela n’est pourtant que relatif ; Charleston n’en est pas moins le centre d’un commerce très considérable : sur environ 2 millions de balles de colon qu’expédient les États-Unis, 400,000 partent de cette ville, 8 ou 900,000 de la Nouvelle-Orléans, le reste de Savanah et Mobile. Il y en a sur le nombre total près de 1,500,000 pour l’Angleterre.

À ce sujet je me rappelle une anecdote que me contait M. Kent, à New-York. Il voyageait en Angleterre avec un des hommes politiques les plus importans de ce pays. « Mylord, lui demanda-t-il, qu’arriverait-il si vous ne receviez plus de coton de l’Amérique ? » L’Anglais regardait par la portière. M. Kent renouvela sa question, et son compagnon de route se mit de nouveau à considérer le paysage. M. Kent ne se lassa point et répéta une troisième fois : « Que feriez-vous ? » L’homme d’état, qui aurait mieux aimé ne pas répondre, s’écria : « En vérité, je ne sais ce que nous deviendrions. » Imaginez en effet ce qui adviendrait de Birmingham et de Manchester quand les cotton-mills s’arrêteraient, et que l’immense population qu’ils font vivre se trouverait sans pain. Les Anglais le sentent si bien, qu’ils s’occupent très sérieusement de la culture du coton dans l’Inde ; mais ce coton ne parait pas valoir celui des États-Unis, et les chemins qui pourraient l’amener rapidement, à bon marché, de l’intérieur à la côte, sont encore à faire. Voilà l’état du monde actuel, voilà ce qui maintiendra la paix entre l’Angleterre et l’Amérique mieux que toutes les sociétés réunies dans cette pensée : c’est un certain nombre de balles de colon.