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offre les noms des villes les plus diverses et les plus lointaines : cela fait voir que ce monde nouveau est fils de l’ancien monde, et semble indiquer chez les Américains un désir superbe de le renouveler. Jusqu’ici ce désir n’a pas été satisfait, car aucune de ces villes à noms ambitieux n’est devenue une grande ville. Un savant américain, M. Schoolcraft, a proposé de donner plutôt aux cités nouvelles des noms indiens : ceux-ci sont souvent très harmonieux, comme on en peut juger là où les dénominations indigènes sont restées, ce qui a eu lieu surtout pour les lacs, les fleuves, comme Ontario, Oneida, Niagara, Susquehanna. Quelquefois les noms des villes nouvelles rappellent la pairie des émigrans ; une association de concitoyens emporte le souvenir de la cité natale sous un ciel étranger. Ainsi quelques familles de paysans suisses du pays de Vaud. dirigées par l’un d’eux qui parait avoir eu toutes les qualités d’un fondateur de colonie, ont établi le Nouveau-Vevay ; des Français ont fondé la ville de Gallipolis, dans laquelle ils commencèrent par bâtir une immense salle de bal ; des Hongrois réfugiés élèvent en ce moment la Nouvdle-Bude. — Ces réminiscences du berceau sont touchantes : on pense à Andromaque transportée dans l’Epire, et donnant à des fleuves barbares les noms aimés du Xanthe et du Simoïs.

Les noms des anciens états sont assez curieux par leur origine, qui les rattache à l’histoire européenne et à des personnages bien diversement célèbres de cette histoire. La Virginie fut ainsi nommée en l’honneur d’Elisabeth, qui aimait à se faire appeler la reine vierge ; la Caroline, en l’honneur de Charles IX ; New-York, de Jacques II, duc d’York ; le Maryland et le Maine, de la reine Henriette d’Angleterre. D’autres lieux rappellent des hommes nés dans une condition privée, et qui ont dû à leurs vertus de donner leur nom à des républiques et à des villes aujourd’hui florissantes ; la Pensylvanie perpétue la mémoire de Penn, et lord Baltimore a bien mérité que la sienne demeurât attachée à la capitale du Maryland. Les états entrés les derniers dans l’Union, le Texas, la Californie et le Nouveau-Mexique, marquent, par leur dénomination étrangère, la période actuelle, la période d’envahissement et de conquête. Fasse le ciel, dans l’intérêt des États-Unis, qu’il n’y ait pas bientôt trop de noms espagnols sur la carte de leur pays !

Je croyais être au fait maintenant de tous les inconvéniens d’un voyage en chemin de fer à travers l’Union ; mais j’avais encore dans cette science de nouvelles découvertes à faire. Hier, par exemple, nous sommes arrivés de nuit dans un endroit où l’on change de ligne ; il avait plu : la voie du chemin était un fleuve ; il a fallu descendre dans l’eau et dans la boue, aller sans voir goutte à travers les rails et les wagons, changer nos billets dans une maison située à quelque