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et féminine, et s’enlèvent ainsi le plus puissant levier d’Intrigue et d’intérêt dont savent si bien se servir toutes les autres littératures européennes.

Nous prenons d’abord Kircha Danilov et ses piesnas sur l’époque primitive russe. Il en est une qui point avec assez de vérité l’affaiblissement et la décadence des anciennes républiques slaves du nord sous les coups des aventuriers varègues :

« Dans la glorieuse et grande Novgorod, le vieux Buslaï a vécu quatre-vingt-dix ans, sans jamais se mêler avec les moujiks, sans leur dire même un mot en passant ; à sa mort, il a laissé son fils Basile entre les mains de sa veuve, Amellha Timotheevna. Dès l’âge de sept ans, le fils de Buslaï savait lire et écrire, puis il apprit le chant d’Église, et nul dans Novgorod ne chantait comme lui au lutrin ; mais, espiègle de nature, Basile cherche querelle, aux passans dans les rues, et malheur à qui lui tombe sous la main : ceux qu’il attrape par le bras restent manchots, ceux qu’il prend par la jambe demeurent boiteux toute leur vie. Une tempête de plaintes s’élève contre Basile Buslaevitch et les posadniks (magistrats) et les tribunaux de la ville se préparant à le corriger.

« Incapable de souffrir la réprimande, Basile cherche à se faire un parti ; il affiche dans tout Novgorod que quiconque veut boire et se réjouir n’a qu’à venir dans sa maison ; il y trouvera table mise et boira le vin vert à discrétion… Les aventuriers affluent ; seulement Basile éprouve chaque nouveau venu, d’abord en s’assurant de la quantité de vin qu’il peut absorber sans broncher, puis en lui donnant quelque bon coup sur la tête ou les reins pour voir jusqu’à quel point il est solide. Il éprouve ainsi Kostia, Luc et Moïse, et réussit à se trouver bientôt vingt-neuf compagnons d’une force approchant de la sienne. Entouré de sa bande, Basile se croît alors en état de résister à tous les moujiks de Novgorod…

« Le fils de Buslaï s’en va donc sur les places écouter ce que dit le peuple ; il apprend que les moujiks préparent une fête splendide pour l’anniversaire de leur grand patron saint Nicolas, qu’il sera distribué devant la cathédrale des gâteaux de riz fin en quantité, et qu’on y boira des tonneaux de bière blanche. Basile s’en vient trouver le chef des popes ; il lui donne 50 roubles pour sa personne, 5 roubles pour chacun de ses camarades, et demande à prendre part à la cérémonie : il est accepté… mais au milieu de la fête, les trente hardis camarades s’enivrent à dessein, puis se mettent à distribuer de tous côtés leurs coups de poings au peuple qui sortait de l’église ; ce fut un affreux pêle-mêle de moujiks morts, blessés ou mourans…

« Orgueilleux de sa victoire. Basile délia toute la grande Novgorod de venir à bout de lui. La ville entière, ses moujiks et ses gosts s’arment pour chasser de leurs murs le Buslaevitch Basile ; mais celui-ci, avec ses vingt-neuf camarades, repousse tous leurs assauts, les taille en pièces, les poursuit et les force à demander grâce… La mère de Basile intervient et fait rentrer son fils au logis… Alors voilà que les vingt-neuf camarades sont à leur tour battus et écrasés par le peuple ; il faut que Basile, coure vite les dégager. En passant sur le pont du Volkof, il aperçoit un moujik gigantesque qui, pour