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ânes ; vous pourrez faire un bon tour sans vous fatiguer, et Zéphyr vous conduira.

La proposition agréa à tout le monde, et particulièrement à l’apprenti, qui se voyait, pour le retour, débarrassé des ustensiles du peintre. On s’était mis en route pour la promenade que la fille du sabotier avait dirigée tout droit au véritable but qui la lui avait fait désirer. C’est ainsi que ces trois personnes étaient arrivées à la mare, où Zéphyr avait attaché à un arbre les rustiques montures qu’on ne pouvait aventurer dans les ravins de la Gorge-aux-Loups.

En reconnaissant Adeline et son amie, Lazare s’était levé, accueillant les deux jeunes femmes avec une politesse également cérémonieuse. Quant à ses voisins, ils avaient sur-le-champ offert leur siège de campagne pour que les deux dames pussent s’asseoir, et ils épuisaient le vocabulaire des salutations. Les confrères de Lazare semblèrent dès lors avoir pour lui une apparence de considération restée jusque-là anonyme, et l’un d’eux lui fit tout haut le plus vif éloge à propos de son étude. De ces louanges Lazare se souciait peu ; mais comme son confrère les lui adressait en parlant à Adeline et entrecoupait chaque phrase d’une respectueuse inclination, il éprouvait du plaisir à voir la fille du sabotier prise pour une demoiselle du monde par des gens du monde. Quant à Zéphyr, les artistes gentilshommes ne s’étaient point mépris et avaient échangé un sourire, ils avaient même essayé une plaisanterie qui fut entendue par Lazare. Il en prit habilement texte pour présenter l’apprenti comme un confrère. En deux mots, il leur raconta son histoire. ― C’est un garçon naïf, leur dit-il, que l’art est venu trouver dans la solitude ; il n’a de science aucune et de maître aucun : il est devenu sculpteur comme Giotto devint peintre, et c’est moi que le hasard a fait son Cimabuë.

Cette apologie de l’apprenti avait été faite au milieu d’un groupe formé par tous les artistes dispersés dans les environs, qui s’étaient rapprochés des deux voisins de Lazare, leurs amis, afin d’avoir une occasion de se rapprocher aussi des dames. Parmi les nouveau-venus, il s’en trouvait deux ou trois qui avaient acheté à Fontainebleau des ouvrages de l’artiste rustique. Ils enchérirent encore sur ce que Lazare venait de dire à propos de son talent. Ils invitèrent Zéphyr à venir les voir quand il serait à Paris. Ils le présenteraient dans les salons et le mettraient en rapport avec la société, dont l’influence abrège les lenteurs qui retiennent souvent le mérite dans l’obscurité. Leurs cartes, qu’ils remirent à Zéphyr, étaient titrées pour la plupart.

— Remercie ces messieurs de leurs bonnes intentions, dit Lazare à Zéphyr, devenu cramoisi d’orgueil en voyant que des marquis et des vicomtes lui offraient leur amitié ; mais quand tu seras à Paris,