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ADELINE PROTAT.

passé ses gants dans le cordon de son chapeau. Il était certainement embarrassé de cette élégance improvisée, mais il aurait pu paraître encore plus ridicule. Enfin les gens qui ne le connaissaient pas ne se seraient point retournés pour le voir. Il avait même éprouvé un certain dépit de cette indifférence en traversant les rues de Fontainebleau ; mais la curiosité et l’admiration qu’il excita sur son passage en revenant à Montigny l’eurent bientôt consolé. On l’arrêtait à chaque porte.

— Est-ce que c’est le père Protat qui t’habille comme ça, pour faire des sabots ? lui demandait-on.

— C’est moi tout seul, avec mon argent, répondit Zéphyr en relevant négligemment le bas de son pantalon pour que l’on pût apercevoir la tige rouge de sa botte vernie.

— Et où prends-tu de l’argent ? continuaient les curieux.

— Ah ! voilà le secret. — Et il ajoutait en clignant les yeux : — Il y a bien du nouveau depuis deux jours !

Chacune de ses réponses était longuement commentée. La malignité publique, qui avait mis la maison Protat sous la surveillance d’une police habilement déguisée, tirait une induction de tous les faits qui arrivaient à sa connaissance. Zéphyr, ayant été rencontré par M. Julien, avait été soumis à un véritable interrogatoire. Il avait, entre autres choses, déclaré au clerc qu’il allait partir pour Paris avec son ami M. Lazare. L’entrée de Zéphyr dans la maison du sabotier fut un coup de théâtre véritable : la Madelon l’avait appelé monsieur, Cécile avait ri comme une folle ; Adeline avait seulement souri. Les beaux habits de Zéphyr semblaient au reste arriver à propos. Adeline elle-même, pour complaire à une fantaisie de son amie, avait repris les vêtemens qu’elle portait jadis dans la maison de Bellerie, et, du brodequin au chapeau, dans son gentil équipage de demoiselle châtelaine, défiait l’examen d’une critique féminine. Le retour de Zéphyr arrivait à point pour mettre fin à l’incertitude des deux jeunes femmes. Adeline, sachant que Cécile ne connaissait point les parties de la forêt qui avoisinent Montigny, lui avait proposé de lui servir de guide. Cécile n’avait pas eu l’air de comprendre le véritable motif de cette insinuation. Ce qui les embarrassait, c’était de sortir seules.

— Qui sait ? avait dit Cécile, nous rencontrerons peut-être M. Lazare ; il nous accompagnera pour revenir.

— Oui, ajouta Adeline en rougissant, mais pour aller ?… Et puis, nous ne savons où trouver M. Lazare.

— Je sais bien où il est, moi, intervint Zéphyr. Il a chargé Madelon de m’envoyer à la mare.

— Si vous allez si loin, dit à son tour la servante, il faut louer des