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voulut savoir de quelle nation ils étaient et ce qu’ils venaient faire en Grèce, ils répondirent qu’ils étaient des Slaves des bords de l’océan, que le khan des Avares avait obtenu de leurs princes la promesse d’un contingent de troupes auxiliaires contre les Grecs, mais qu’à cause de l’éloignement des lieux ces troupes n’ayant pu être envoyées, leurs princes, pour s’excuser, les avaient délégués tous les trois en qualité d’ambassadeurs auprès du roi des Avares ; que ce roi, contrairement au droit des gens, voulait les retenir captifs ; qu’en conséquence ils s’étaient évadés pour venir implorer l’hospitalité des Grecs. Ils ajoutèrent qu’ils étaient inhabiles au métier des armes, que leur pays ne produisait point de fer, et qu’on y vivait tranquille, préférant aux fanfares guerrières les sons paisibles de la guitare. Charmé de leurs récits, l’empereur s’éprit d’affection pour les trois députés slaves et pour leur race ; il admira leur haute stature et les reçut familièrement à sa cour… »

Il serait curieux de savoir au juste quelles étaient ces guitares des trois ambassadeurs et bardes slaves de la Baltique, Suivant toute apparence, ces instrumens n’étaient autre chose que des gouslés ou ce que les Moscovites actuels appellent dans leur dialecte balalayka, violon grossier dont la forme ressemble à celle de la gouslé illyro-serbe. Cette gouslé, qui n’a que quatre cordes au plus, et qui, impuissante à reproduire des airs un peu variés, ne peut rendre qu’un très petit nombre de notes, est une espèce de violon ou de guitare ébauchée, qui se termine en cou de cygne, et dont le nom même parait dérivé du mot gousa, une grande oie, et sans doute primitivement par extension un cygne. On touche d’ordinaire la gouslé avec les doigts ou bien avec une plume en guise d’archet. Le gouslar ou joueur de gouslé ne se sert de son instrument que comme d’une basse pour soutenir son récitatif traînant ou pour prendre le ton. D’ailleurs, sous les noms les plus divers, la gouslé fut de tout temps connue chez les peuples slaves. Il paraîtrait que leurs anciennes rapsodies héroïques ne pouvaient être récitées sans accompagnement musical, absolument comme chez les montagnards serbes d’aujourd’hui. Aussi voit-on dès les plus anciens temps les guerriers slaves porter au milieu des combats des instrumens de musique et s’en servir dans leurs haltes nocturnes, comme le dit le Byzantin Théophylacte, pour célébrer les exploits des héros de la patrie. En 1326, le Grec Nicéphore-Grégoire mentionne également avec admiration les gouslars serbes du Strymon en Macédoine, qu’il entendit chanter dans leurs forêts les louanges des héros primitifs (tragicis cantibus celebrabant laudes veterum heroum…). Il y avait donc autrefois sur toute l’étendue des pays slaves tant du nord que du sud des rapsodies traditionnelles qui perpétuaient les souvenirs de l’histoire nationale. Chaque