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SALON DE 1853.




Un des caractères de l’art français est la mobilité de sa physionomie. Lorsqu’on étudie l’histoire des phases qu’il a traversées, on ne peut y suivre, comme dans l’histoire des écoles étrangères, le développement continu de principes une fois adoptés. À peine a-t-on applaudi en France aux innovations, qu’on essaie déjà de réagir contre la méthode des novateurs, tandis qu’en Italie, dans les Pays-Bas, en Allemagne et en Espagne, chacune des réformes introduites par les maîtres demeure, pour les générations qui surviennent, un progrès qu’elles s’efforcent de compléter. La foi s’use vite dans notre pays ; le beau auquel nous avions cru à un moment donné nous laisse presque aussitôt indifférens, sinon incrédules, et la vérité telle que nous la comprenions hier court grand risque de devenir à peu près le taux aujourd’hui. De là le défaut d’unité dans l’ensemble des œuvres, l’instabilité des réputations et le caractère contradictoire des talens de notre école.

Ces oscillations continuelles du goût, cette succession de travaux qui se démentent les uns les autres, sont l’histoire même de la peinture française à toutes les époques ; mais l’époque actuelle a cela de particulier, qu’elle accepte simultanément les essais en sens opposés, les systèmes qui ne se seraient produits autrefois qu’à tour de rôle et suivant les reviremens divers de l’opinion. Le temps n’est plus où certains principes venant à perdre leur empire, on pratiquait avec un zèle unanime une esthétique nouvelle, où l’on n’osait renier que ses devanciers, quitte à subir leur sort quelques années plus tard. Depuis le commencement du siècle, bien des changemens se sont opérés dans notre école de peinture ; chacune de ses transformations trouvait du moins sa raison d’être dans les abus d’une méthode qui avait eu le temps de vieillir, et la réaction, qu’elle fût académique ou romantique, s’accomplissait à son heure et avec le concours de tous. Aujourd’hui il n’y a plus, à vrai dire, de mouvement général de l’art ; il n’y a que des doctrines ou des fantaisies individuelles, des tentatives qui se heurtent, des talens ouvertement ennemis et qui s’insultent en quelque sorte : en un mot, l’anarchie la plus complète règne, sous couleur de liberté, dans notre école, en attendant que le