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ter sans plaisir. Lazare remarqua qu’elle avait jeté un rapide regard sur son costume, et que cet examen l’avait davantage attristée. L’artiste eut sur-le-champ l’intuition de ce qui préoccupait Adeline.

— Je n’ai pas oublié votre recommandation, mignonne, lui dit-il en frappant sur son sac : mes grandes guêtres sont là-dedans, et je les mettrai dès que j’entrerai en forêt.

— Vous y avez songé ? dit Adeline, rouge de plaisir.

— Ma foi, répondit simplement Lazare, je pense beaucoup vous depuis hier, mignonne. — Et il partit, la laissant tout heureuse de ce mot, que son imagination commença à commenter, et à qui elle faisait dire tout ce qu’elle aurait souhaité entendre.

Lazare avait traversé rapidement le pays, sans remarquer que son passage dans la grande rue de Montigny faisait mettre sur leur porte tous les gens qui n’étaient pas aux champs, et qui, se le montrant les uns aux autres, se réunissaient en groupe pour causer à voix basse. Il ne prit point même attention à la façon singulière dont l’avait salué M. Julien, qu’il rencontra à la porte de la Maison-Blanche. Comme il était arrivé à la mare et traversait le plateau pour descendre dans la Gorge-au-Loup, où la veille il avait remarqué un beau motif d’étude, l’un des paysagistes qu’il avait déjà vus la veille, le propriétaire de la chienne Lydie, salua Lazare, qui passait auprès de lui ; celui-ci s’arrêta, et ils échangèrent quelques mots. Tout en parlant, Lazare avait jeté un regard curieux sur l’étude du paysagiste. Son premier mouvement fut de se frotter les yeux et de regarder autour de lui. On comprendra en effet l’étonnement que dut lui causer la singulière métamorphose que le paysagiste faisait subir au site qu’il avait choisi pour modèle. À l’exception des premiers plans, tout s’était modifié sous le pinceau de l'élève d’après nature. Là où croissaient les grands chênes du dormoir, il avait mis des pins d’Italie, ouvrant leur parasol ; les ronces du Buisson-aux-Vipères s’étaient métamorphosés en aloës et en cactus ; les vaches qui pâturaient dans le voisinage s’étaient transformées en buffles et en grands bœufs blancs hautement encornés, — comme on en trouve dans les provinces du midi. Les tranquilles horizons de la Brie champenoise s’étaient enrichis, dans ce tableau, d’une foule de monumens où l’architecture grecque découpait l’azur du ciel entre les colonnades de ses temples.

— Voilà un beau lieu et une grande nature, dit Lazare à son confrère. Et il étendit la main pour désigner le paysage au centre duquel ils se trouvaient.

— Sans doute, répliqua le jeune homme très sérieusement ; mais cela manque d’élégance ; les lignes se heurtent, se brisent, se confondent sans grâce, et puis les horizons sont pauvres. Aussi j’ai fait, comme vous voyez, quelques heureuses additions.