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ADELINE PROTAT.

pendant la crainte d’avoir été pénétrée par l’artiste alarmait déjà moins Adeline. Cela lui faisait une situation plus nette vis-à-vis de lui. Les circonstances qui avaient fait connaître à tous ceux qui l’entouraient sa passion pour le pensionnaire la délivraient du pénible soin qu’elle prenait constamment de veiller sur elle-même, et de plus elle gagnait des confidens ; déjà même elle trouvait des auxiliaires : n’était-ce point en suivant les avis de Cécile qu’elle avait amené l’artiste à manifester une mauvaise humeur qui, selon son amie, était un indice favorable pour sa passion ?

Pendant qu’Adeline cherchait en vain le sommeil, Lazare éprouvait lui-même de la difficulté à trouver du repos. Quand il fermait les yeux, c’était pour recommencer le rêve qu’il avait fait le soir dans la prairie aux foins. Avec l’obstination particulière aux songes nés sous l’empire d’une idée qui vous préoccupe vivement, ces visions se reproduisaient fidèles et précises, évoquant les mêmes tableaux où se projetait toujours le doux visage d’Adeline. Lorsque Lazare se réveillait, malgré lui, son imagination ressaisissait les images qui avaient semblé lui échapper dans le sommeil. C’était comme un livre qui se rouvrait de lui-même au chapitre interrompu. Il y eut dans cette nuit un instant où l’artiste confondit les impressions du rêve avec celles de la réalité. Troublé par le chant d’un coq voisin, il se surprit à dire en se dressant sur son lit : — Il faudra que je recommande à la Madelon de bien fermer le poulailler ; ce maudit oiseau empêche mon Adeline de dormir. — Et s’apercevant alors qu’il était seul dans une chambre de la Maison-Blanche, il s’emporta violemment contre les lits d’auberge dans lesquels on ne peut pas dormir, et surtout contre les meules de foin qui vous font rêver de sottises.

Le lendemain, pour chasser toutes ces idées, qui commençaient à le dépiter contre lui-même, il sortit de la Maison-Blanche avec l’intention de travailler toute la journée. Après son déjeuner, il se mit en route pour la forêt, un peu contrarié que l’on eût envoyé Zéphyr en commission à Fontainebleau, ce qui le mettait dans la nécessité de porter lui-même tous ses ustensiles. — Au moins, dit-il à la Madelon, quand il reviendra, envoyez-le me retrouver : je resterai toute la journée à la Mare-aux-Fées ou dans les environs.

Pendant tout le temps que le déjeuner avait duré, Lazare avait remarqué que Mme de Livry était restée sérieuse, Adeline pensive, et que le père Protat n’avait ni bu, ni mangé, ni parlé autant qu’à son habitude. Au moment où il franchissait le seuil de la porte, il se trouva en face d’Adeline. Comme il lui avait peu parlé pendant le repas, et qu’il la voyait toute triste, il pensa que son silence était la cause de sa tristesse. Il lui dit en passant un petit mot d’amitié, qu’il accompagna d’une caresse familière ; mais la jeune fille parut l’écou-