Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1067

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rechercherons pas quelle est la signification des nouveaux firmans du sultan, rapprochés des stipulations précédemment acquises à la France ; nous ne le rechercherons pas, parce que cette question, quelque importante qu’elle ait pu être, disparaît complètement devant la seule et grande question qui est le nœud des dernières complications. À peine, en effet, l’affaire des lieux saints était-elle réglée, que le véritable secret de la mission du prince Menschikoff se révélait. C’est le 5 mai qu’une note de l’envoyé russe faisait connaître au gouvernement ottoman la demande d’un traité garantissant les privilèges et immunités dont jouit l’église grecque en Orient, et constituant le tsar, arbitre du sens à donner à ces privilèges, protecteur de tous les chrétiens orientaux. Si ce n’était un ultimatum, — du moins, en réalité, un délai de cinq jours seulement était laissé au divan pour répondre. Le cabinet Ottoman n’a point faibli dans ces circonstances difficiles : le 10, il répondait par un refus motivé d’accéder à la demande de l’envoyé russe, sur ces entrefaites d’ailleurs éclatait une crise ministérielle qui ramenait au pouvoir un des hommes les plus éclairés de la Turquie et les moins sympathiques à la Russie, Reschid-Pacha. Le retour de Reschid-Pacha n’était point fait pour modifier les résolutions du divan. Aussi, après plusieurs délais successifs, après plusieurs essais infructueux de négociations nouvelles, le prince Menschikoff a-t-il définitivement quitté Constantinople le 22, se rendant à Odessa. Maintenant nous demanderons encore quelle sera la suite de cette rupture ? Rien ne serait plus difficile certainement que de pressentir comment des négociations plus heureuses pourront se renouer, quelle issue trouveront ces complications inattendues. Il reste d’ailleurs à savoir encore si l’acte du prince Menschikoff sera sanctionné par l’empereur Nicolas. Dans tous les cas seulement, ce qu’il faut croire, c’est que la paix générale n’en sera point altérée. C’est une de ces questions auxquelles le sentiment public, si l’on nous passe ce terme, impose une solution pacifique. Nous nous fondons pour penser ainsi, et sur la nature même de l’incident d’où sont nés ces complications, et sur les grands intérêts généraux qu’elles affectent en Europe.

Quelle est donc la véritable nature des demandes que le prince Menschikoff a été chargé de porter à Constantinople ? Comment le tsar y pourrait-il trouver la raison d’une solution imposée par les armes ? On le concevrait peut-être, si ces réclamations s’appuyaient sur la violation de traités existans, sur des engagemens méconnus, sur des intérêts non garantis, même, sur des persécutions violentes et systématiques exercées contre les populations chrétiennes de l’Orient ; mais, au contraire, le sultan fait ce qu’il peut pour protéger ces populations, il renouvelle de son mouvement propre l’engagement de maintenir leurs privilèges : d’ailleurs nul traité jusqu’ici ne donne à la Russie un droit légitime d’intervention, du moins dans ces proportions. Plus on examine l’acte récent de la politique russe, plus il est sensible qu’il ne s’explique que d’une manière : c’est que les circonstances sont arrivées à un point où il est de l’intérêt de la Russie d’avoir en Orient la grande et forte position qu’elle réclame, et qu’elle veut faire inscrire dans le droit public par un traité solennel. Or il ne suffit pas évidemment d’avoir envie d’une situation de demander tel ou tel avantage, tel ou tel bénéfice, de quelque genre qu’il soit, tel ou tel accroissement d’influence, à un état indépendant, pour se déclarer en rupture ouverte avec lui, s’il refuse ces bénéfices et ces avantages, et pour