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l’intérêt de l’Angleterre le nôtre propre. Je ne connais pas ce pacte ; il n’existe pas dans l’exemple que l’Angleterre nous a donné lorsqu’elle a cru pouvoir nous nuire. Qu’on se rappelle seulement la conduite qu’on a tenue à notre égard pendant les troubles de Corse, les secours de toute espèce qu’on y a versés sans aucune sorte de ménagement. Je ne cite pas cet exemple pour nous autoriser à le suivre. Le roi, fidèle à ses principes de justice, ne cherche point à abuser de la situation des Anglais pour augmenter leur embarras ; mais il ne peut retrancher à ses sujets la protection qu’il doit à leur commerce… Il serait contre toute raison et bienséance de prétendre que nous ne devons vendre aucun article de commerce à qui que ce soit, parce qu’il serait possible qu’il passât de seconde main en Amérique. »


Après divers détails, le ministre termine ainsi :


« Recevez tous mes complimens, monsieur. Après vous avoir assuré de l’approbation du roi, la mienne ne doit pas vous paraître fort intéressante ; cependant je ne puis m’empêcher d’applaudir à la sagesse et à la fermeté de votre conduite, et de vous renouveler toute mon estime.

« Je suis bien parfaitement, monsieur, etc.

« De Vergennes. »


Il est visible que le ministre commence à se fatiguer des exigences du cabinet anglais, et que Beaumarchais et son plan de secours secrets font des progrès dans son esprit. Celui-ci ne songeait pas encore à cette époque à réaliser ce système sous la forme d’une opération commerciale entreprise par lui avec le concours du gouvernement, mais à ses risques et périls. Il demandait 3 millions pour les transmettre directement soit en argent, soit en munitions aux agens de l’Amérique.

Le ministère français se décida enfin à accepter et à faire accepter au roi la combinaison proposée ; cependant la prudence de M. de Vergennes la repoussa sous cette forme, qui parut trop compromettante. On dit à Beaumarchais : « Il faut que l’opération ait essentiellement, aux yeux du gouvernement anglais et même aux yeux des Américains, l’aspect d’une spéculation individuelle, à laquelle nous sommes étrangers et que nous ne pouvons pas empêcher. Pour qu’elle soit telle en apparence, il faut qu’elle le soit aussi, jusqu’à un certain point, en réalité. Nous vous donnerons secrètement un million, mais rien de plus. Avec ce million, vous vous en procurerez d’autres, soit en Espagne, si le cabinet de Madrid s’unit à nous dans cet arrangement, soit auprès des particuliers qui voudront s’associer aux bénéfices possibles de votre entreprise. Vous fonderez une grande maison de commerce, et à vos risques et périls vous approvisionnerez l’Amérique d’armes, de munitions, d’objets d’équipement et de tous autres objets qui lui seront nécessaires pour soutenir la guerre. Nos arsenaux vous livreront des armes et des munitions, mais vous les