Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1061

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ou les Américains repousseront les Anglais avec perte ;

« Ou l’Angleterre prendra le parti, déjà adopté par le roi, d’abandonner les colonies à elles-mêmes et de s’en séparer à l’amiable ;

« Ou l’opposition, en s’emparant du ministère, répondra de la soumission des colonies à la condition d’être remises en leur état de 1763.

« Voilà tous les possibles rassemblés : y en a-t-il un seul qui ne vous donne à l’instant la guerre que vous voulez éviter ? Sire, au nom de Dieu, daignez l’examiner avec moi :

« 1o Si l’Angleterre triomphe de l’Amérique, ce ne peut être qu’avec une dépense énorme d’hommes et d’argent ; or le seul dédommagement que les Anglais se proposent de tant de pertes est d’enlever à leur retour les îles françaises, de se rendre par là les marchands exclusifs de la précieuse denrée du sucre, qui peut seule réparer tous les dommages de leur commerce, et cette prise les rend à jamais possesseurs absolus de bénéfice de l’interlope que le continent fait avec ces mêmes îles.

« Alors, sire, il vous resterait uniquement le choix de commencer trop tard une guerre infructueuse, ou de sacrifier à la plus honteuse des paix inactives toutes vos colonies d’Amérique, et de perdre 280 millions de capitaux et plus de 30 millions de revenus.

« 2o Si les Américains sont vainqueurs, à l’instant ils sont libres, et les Anglais, au désespoir de voir leur existence diminuée des trois quarts, n’en seront que plus empressés à chercher un dédommagement devenu indispensable dans la prise facile de nos possessions d’Amérique, et l’on peut être certain qu’ils n’y manqueront pas.

« 3o Si les Anglais se croient forcés d’abandonner sans coup férir les colonies à elles-mêmes, comme c’est le vœu secret du roi, la perte étant la même pour leur existence et leur commerce étant également ruiné, le résultat pour nous est semblable au précédent, excepté que les Anglais, moins énervés par cet abandon à l’amiable que par une campagne sanglante et ruineuse, n’en auront que plus de moyens et de facilités de s’emparer de nos îles, dont alors ils ne pourront plus se passer, s’ils veulent conserver les leurs et garder un pied de terre en Amérique

« 4o Si l’opposition se met en possession du ministère, et conclut le traité de réunion avec les colonies, les Américains, outrés contre la France, dont les refus les auront seuls forcés à se soumettre à la métropole, nous menacent, dès aujourd’hui de joindre toutes leurs forces à celles de l’Angleterre pour enlever nos îles. Il ne se réuniront même à la mère-patrie qu’à cette condition, et Dieu sait alors avec quelle joie le ministère composé des lords Chatam, Shelburne et Rockingham, dont les dispositions pour nous sont publiques, adoptera le ressentiment des Américains, et vous fera sans relâche la guerre la plus opiniâtre et la plus cruelle.

« Que faire donc en cette extrémité pour avoir la paix et conserver nos îles ?

« Vous ne conserverez la paix que vous désirez, sire, qu’en empêchant à tout prix qu’elle ne se fasse entre l’Angleterre et l’Amérique, et qu’en empêchant que l’une triomphe complètement de l’autre, et le seul moyen d’y parvenir est de donner des secours aux Américains, qui mettront leurs forces en équilibre avec celles de l’Angleterre, mais rien au-delà. Et croyez, sire, que