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II. — BEAUMARCHAIS AGENT POLITIQUE — AFFAIRE DES ÉTATS-UNIS, PREMIÈRE PÉRIODE.

Parmi tous les écrivains français qui ont parlé de Beaumarchais à propos d’un des plus grands événemens des temps modernes, la guerre de l’indépendance américaine, je n’en connais qu’un qui ait eu une idée vague de la part d’action de l’auteur du Barbier de séville dans cet événement. Tous les autres se contentent de dire : Beaumarchais envoyait sous-main des munitions et des armes aux colonies insurgées. Dans l’édition des Œuvres de Beaumarchais faite en 1808 par Gudin, presque tous les documens relatifs à cette partie de sa vie ont été volontairement supprimés. Les héritiers de l’auteur du Barbier de Séville suivaient alors avec les États-Unis un procès qui n’a été définitivement vidé qu’en 1836. En présence des argumens qu’on leur opposait pour ne pas payer la dette contractée avec Beaumarchais, il y avait imprudence à publier ces pièces ; car en rehaussant la situation du négociateur, en le présentant non plus seulement comme un spéculateur pur et simple, mais aussi comme un instigateur et un agent de la politique de la France, elles risquaient peut-être de donner quelque apparence de justice aux objections peu fondées du gouvernement des États-Unis. L’influence de Beaumarchais dans les faits qui ont préparé la guerre d’Amérique est donc restée en France à peu près inconnue, en revanche, il a été publié aux États-Unis contre la créance de Beaumarchais, et par suite contre lui-même, divers ouvrages où quelques faits vrais se mêlent à beaucoup d’erreurs, et qui prouvent que les nations comme les individus ne se distinguent pas toujours par la reconnaissance. Il n’y a plus d’inconvéniens aujourd’hui à exposer exactement, sans l’exagérer, mais aussi sans l’amoindrir ni le dénaturer, le rôle joué par Beaumarchais dans un des actes les plus considérables de la politique française.

L’écrivain que j’indiquais plus haut comme ayant eu seul quelque idée vague de ce rôle est le duc de Lévis, qui, dans ses Souvenirs et Portraits, en traitant de la rupture de l’Angleterre et de la France à propos des États-Unis sous le ministère Maurepas en 1778, a écrit les lignes suivantes : « Un ministre sage aurait profité de l’embarras des Anglais pour accroître notre flotte sans la compromettre, et Louis XVI, dont le caractère était pacifique, fût entré aisément dans ces vues. Il eût attendu avec patience le développement d’une grande force maritime capable de faire respecter sa puissance dans les deux mondes. Ce système de prudence était combattu par l’influence que Beaumarchais exerçait sur M. de Maurepas. Cet homme, plus fameux en littérature qu’en politique, eut cependant une part assez grande à