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foule qui restait tout le jour et une partie de la nuit sous ses fenêtres : je viens de passer devant la porte de son hôtel et n’y ai vu personne. La popularité de Kossuth baisse considérablement. Les Américains sentent, de plus en plus qu’il serait insensé de renoncer à la politique de neutralité, qui a été celle de leur gouvernement depuis Washington, pour se mêler, à propos de la Hongrie, des affaires de l’Europe. Je vois que dans cette ivresse de New-York entrait pour beaucoup ce besoin d’excitation, de manifestations bruyantes, qui est le seul amusement vif de la multitude dans un pays où l’on ne s’amuse guère. Ce vacarme est sans conséquence et sans danger : tout cela se borne, comme me le disait un homme d’esprit, à lâcher la vapeur [let out the steam), ce qui, comme on sait, ne cause point les explosions de la machine, mais les prévient. À New-York même, il y a quelques jours, les autorités oui déclaré à Kossuth qu’elles allaient cesser de payer à l’hôtel sa dépense et celle de sa suite.

Au congrès, où il est question de lui, il y a quelque agitation, et les tribunes répondent par des applaudissemens aux défis que certains orateurs envoient à l’Europe ; mais on crie order, order, et tout se calme bientôt. Un orateur prend la parole et dit : « Parce qu’on accorde l’hospitalité à un étranger illustre, il ne s’ensuit point qu’on partage ses sentimens et qu’on épouse ses opinions. Ainsi, dans cette chambre, nous sommes très courtois les uns pour les autres, sans être pour cela du même avis ; cette courtoisie ne prouve point, par exemple, que nous partagions les abominables sentimens des abolitionistes. Ce gentleman qui siège près de moi vit très bien avec ses voisins, et cependant ceux-ci ne pensent pas comme lui. »

Après avoir prononcé ce discours, si modéré sur le fond de la question, mais incidemment si agressif sur un point qui touche beaucoup plus les vraies passions de l’assemblée, l’orateur s’est avancé vers moi. Je m’étais glissé pour entendre dans l’espace réservé aux membres du congrès, j’ai cru qu’il allait m’engager à m’éloigner ; au lieu de cela, il m’a obligeamment offert sa place. Il est revenu plusieurs fois pour voter, et quand il avait voté, il se retirait. J’étais vraiment confus de tant d’obligeance et très reconnaissant. J’ai donc figuré, pendant le reste de la séance, parmi les législateurs, craignant seulement, lorsqu’on votait en levant la main, qu’en ne levant pas la mienne, je ne comptasse dans la majorité ou la minorité. Il était d’autant plus important qu’il n’en fût pas ainsi, que, par une tactique concertée probablement d’avance, le nombre de voix pour une proposition concernant Kossuth a été égal au nombre des voix contre la motion.

Il est visible qu’on s’entend pour éviter de s’engager trop avec Kossuth, tout en conservant pour lui les égards que commandent son