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successeur désigné, bien plus odieux encore à raison de sa religion ! Tallard fut donc autorisé à proposer cet expédient, si l’occasion s’en offrait à lui ; mais il paraît qu’elle ne se présenta pas, ou que, mieux avisé, il finit par comprendre ce qu’un tel plan avait d’impraticable.

Tels furent les premiers temps du régime sorti en Angleterre de la révolution de 1688. On se demande par quelle transformation il est devenu ce qu’on l’a vu depuis, et comment Guillaume III a pu, en luttant contre tant d’obstacles, non-seulement maintenir l’édifice de la liberté britannique qu’il venait de fonder, mais former les combinaisons politiques qui ont sauvé l’indépendance de l’Europe, soutenir sans trop de désavantage une guerre de huit années contre le monarque français réputé jusqu’alors invincible, et préparer, commencer avant de mourir une guerre bien autrement longue, bien autrement terrible, dans laquelle la France faillit succomber complètement. Quelque part qu’il soit juste de faire aux grandes qualités de Guillaume dans ces résultats, on peut douter qu’elles eussent suffi pour les assurer sans un concours de circonstances singulièrement favorables.

Au moment de la révolution de 1688, le parti républicain, auteur de la révolution précédente, avait cessé d’exister en Angleterre, — en sorte que les tories et les whigs, qui les uns comme les autres voulaient la royauté, occupant seuls le théâtre de la politique, on n’avait pas à craindre, au milieu de leurs luttes les plus violentes, ces coalitions contre nature qui dans d’autres temps et dans d’autres pays ont plus d’une fois, par l’effet de déplorables surprises, donné le pouvoir à d’insignifiantes minorités aux dépens des opinions vraiment dominantes.

L’esprit de propagandisme politique n’était pas né encore à cette époque, et les communications entre les peuples étant beaucoup plus difficiles, beaucoup moins intimes qu’aujourd’hui, les gouvernemens étrangers, les rois, même les plus absolus, ne pouvaient être aussi vivement frappés qu’ils le sont de nos jours du danger de l’exemple donné par une nation qui détrône son souverain.

Enfin l’inquiétude que les plus prévoyans d’entre eux pouvaient en concevoir était plus que balancée par la terreur d’un danger bien autrement pressant et immédiat, celui que l’ambition du puissant Louis XIV faisait courir à l’indépendance européenne, et par l’implacable ressentiment qu’avaient déposé dans l’esprit des princes et des peuples les humiliations dont il les abreuvait depuis si longtemps. Pour se mettre à l’abri de ses entreprises et pour satisfaire leurs rancunes, tout moyen leur semblait bon, et la révolution qui enlevait à la France l’appui de l’Angleterre était, par cela seul, justifiée à leurs yeux. Telle était la force de cet entraînement, qu’il l’emportait même sur les passions religieuses qui, naguère encore, étaient le principe