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Indes, par le général Daendels et par le gouvernement anglais, ont entraîné en faveur de capitalistes européens ou chinois l’aliénation du domaine public. La propriété individuelle se trouve ainsi constituée à Java sur une étendue de territoire qui représente à peu près le douzième des terres cultivées. Les autres résidences, au nombre de seize, ne connaissent d’autres propriétaires que l’état et la commune. Le gouvernement y partage avec la noblesse javanaise d’immenses bénéfices. C’est dans ces provinces que le général Van den Bosch a établi la compensation de l’impôt foncier par des rentes payables en nature, ou qu’il a maintenu, comme dans la résidence des Preangers, le régime du travail forcé et des livraisons obligatoires.

La résidence des Preangers occupe à elle seule près du sixième de la superficie totale de Java. Elle est subdivisée en quatre régences et gouvernée par des chefs qui descendent en droite ligne des anciens souverains auxquels obéissait, avant l’introduction de l’islamisme, la partie occidentale de Java. En visitant la province de Buitenzorg et celle des Preangers, nous pouvions donc nous flatter de comprendre le mécanisme politique et agricole appliqué à l’île tout entière. Nous allions, dans la première de ces résidences, observer les résultats obtenus par l’industrie privée, — dans la seconde, étudier les grandes cultures dirigées par les employés du gouvernement. Nous devions aussi, — cet espoir suffisait pour piquer notre curiosité, — nous trouver en présence de fonctionnaires indiens issus d’un sang non moins illustre et non moins vénéré que celui des souverains de Mataram.

Différé de jour en jour par les gracieuses instances qui s’efforçaient de nous retenir à Batavia, le moment de notre départ pour l’intérieur de l’île fut enfin fixé, d’une manière irrévocable. Le 14 juillet 1849, une heure avant le lever du soleil, deux longues voitures de voyage attelées chacune de six poneys emportaient sur la route de Buitenzorg les officiers de la Bayonnaise et le compagnon que depuis six mois leur avait donné une heureuse fortune, le jeune duc Édouard de Fitz-James, chevaleresque héritier d’un des plus beaux noms de France. À voir la rapidité de notre course, on eût dit que ces carrosses, balancés sur leurs ressorts flexibles, au lieu de paisibles touristes, contenaient quelque couple amoureux s’envolant sur le chemin de Gretna-Green. Une véritable frénésie semblait animer cochers et poneys. Nous dévorions d’un seul temps de galop, et en moins de vingt minutes, les 9 kilomètres qui séparent les relais de la poste. C’était en langage de marin un sillage de onze nœuds à l’heure. Deux coureurs montés derrière nos voitures se jetaient, le fouet à la main, sur les jarrets des chevaux dès que la route offrait la moindre rampe à gravir, et plus le chemin montait, plus notre attelage courait ventre à terre. Pas une ornière d’ailleurs, à peine un gravier sur notre passage. La route, soigneusement macadamisée,