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se pourvoir contre ledit jugement, soit par requête civile ou telle autre voie de droit qu’il avisera bon être. »

Restait à obtenir des lettres de requête civile, c’est-à-dire un nouvel acte royal, renvoyant Beaumarchais devant le parlement, pour l’annulation légale du jugement rendu contre lui. Or cette demande en requête civile devait être soumise au grand conseil, ou conseil d’état, qui avait servi, on s’en souvient, à composer le parlement Maupeou, et dans lequel étaient rentrés, après la destruction de ce parlement, la plupart des anciens juges de Beaumarchais. Celui-ci, obligé de quitter Paris pour aller à Bordeaux organiser l’opération d’Amérique, ne voulait point partir que la requête civile ne fût admise : « Allez toujours, lui dit le ministre Maurepas, le conseil prononcera bien sans vous. » Il part pour Bordeaux avec Gudin. Le surlendemain de son arrivée, il apprend que sa requête est rejetée par le grand conseil.


« Soixante heures après, raconte Gudin dans son manuscrit, nous étions à Paris. — Eh quoi ! dit Beaumarchais au comte de Maurepas un peu surpris de le revoir si promptement, tandis que je cours aux extrémités de la France faire les affaires du roi, vous perdez les miennes à Versailles. — C’est une sottise de Miromesnil[1], répond M. de Maurepas ; allez le trouver ; dites-lui que je veux lui parler, et revenez ensemble. — Ils s’expliquèrent tous les trois ; l’affaire fut reprise sous une autre forme ; car il y en avait pour tous les cas prévus et imprévus ; le conseil jugea tout différemment, et la requête civile fut admise. »


Ici se présentait un nouvel embarras : on était à la fin du mois d’août ; le parlement allait entrer en vacances, et ne voulait statuer sur la requête civile qu’après les vacances ; mais Beaumarchais n’ajourne pas si facilement une affaire entamée : il va derechef trouver M. de Maurepas, et, persuadé qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il fait avec le premier ministre ce que nous l’avons vu faire avec le roi. Il rédige un billet pour le premier président et pour le procureur général, fait copier et signer en double ce billet par M. de Maurepas et l’expédie ; il est ainsi conçu :


« Versailles, ce 27 août 1776.

« La partie des affaires du roi dont M. de Beaumarchais est chargé exige, monsieur, qu’il fasse quelques voyages assez promptement. Il craint de quitter Paris avant que sa requête civile ait été entérinée ; il m’assure qu’elle peut l’être avant les vacances. Je ne vous demande nulle faveur sur le fond de l’affaire, mais seulement de la célérité pour ce jugement. Vous obligerez celui qui a l’honneur d’être bien véritablement, etc.

Maurepas. »


Cela ne suffit pas encore à Beaumarchais. Il veut que l’avocat-

  1. Le ministre de la justice.