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et de la part considérable qui est faite aux renseignemens utiles. Les articles de fond eux-mêmes ne sont souvent que des résumés où sont analysés en substance et appréciés les documens publiés ailleurs par le journal. Près d’un huitième de l’espace total est consacré aux tribunaux, non pas, comme en France, pour satisfaire la curiosité publique : le côté pittoresque et dramatique est au contraire presque toujours sacrifié au côté juridique ; mais en Angleterre la législation n’est pas fixée comme chez nous, beaucoup est laissé à l’arbitraire des tribunaux et à l’autorité des précédens : les opinions et les décisions des juges, les considérans des arrêts, sont donc d’une extrême importance pour les gens de loi et pour les plaideurs. Un autre trait caractéristique de la presse anglaise est l’importance extrême attachée à l’article sur la Bourse, ou, pour prendre le terme consacré, « aux nouvelles du marché à l’argent. » On peut dire que c’est là l’article capital, celui qui est le plus lu et qui peut exercer l’influence la plus décisive sur l’autorité d’un journal. Il ne s’agit pas, comme en France, de résumer en quelques lignes les variations des fonds et de rapporter les bruits qui ont couru; il faut recueillir et donner en substance l’opinion des marchands d’argent et de crédit sur les événemens du jour, et analyser tous les mouvemens des fonds en rapportant les effets aux causes; il faut apprécier à sa valeur chaque affaire à mesure qu’elle se présente sur la place, savoir invoquer et rappeler à propos les faits matériels, les renseignemens statistiques, les documens diplomatiques qui peuvent éclairer sur la condition présente ou l’avenir d’une entreprise ou d’un fonds étranger. C’est donc une des fonctions importantes d’un journal que la tâche d’y écrire chaque jour l’article sur la Bourse. M. Alsager, qui avait su s’acquérir la notoriété en ce genre, et dont les articles faisaient autorité dans le monde commerçant, recevait du Chronicle un traitement annuel de 40,000 francs.

Les annonces commencent et finissent le journal anglais : elles occupent au moins le quart de sa superficie, et le Times publie plusieurs fois par semaine des supplémens de quatre et même de huit pages remplis tout entiers d’avis au public. Rien de ce que nous voyons dans les journaux français ne peut nous donner une idée de la quantité d’annonces publiées journellement par les feuilles anglaises ou américaines. Les commerçans en France ne se rendent pas un compte suffisant de l’utilité des annonces : ils s’effraient d’une dépense qui doit se renouveler souvent et dont l’effet est lent à se produire; ceux même qui regardent la publicité comme une nécessité croient y satisfaire en s’imposant un sacrifice unique, et recourent à l’affiche, c’est-à-dire à l’annonce la moins efficace et la plus dispendieuse. L’affiche est éphémère, et si passager que soit le journal, il dure encore plus qu’elle. Il est rare que l’affiche échappe plus de deux ou trois jours au crochet du chiffonnier; le journal ne figure que vingt-quatre heures sur la table du café ou du cabinet de lecture, mais de là il part pour la province ; il passe successivement dans les mains de cinq ou six familles, et huit jours après sa publication il trouve encore des lecteurs. Tant qu’un fragment en subsiste, les quelques lignes imprimées sur ce fragment peuvent être un avertissement ou une tentation pour celui dont le regard se pose avec le plus d’indifférence sur ce qui n’est qu’un chiffon sans valeur. L’affiche en outre est immobile, et son action est toute locale; la sphère d’influence du journal est illimitée, il pénètre partout. Le