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scrit d’un autre libelle du même auteur, il venait prendre les ordres du roi pour un arrangement définitif. Louis XV, surpris de la promptitude de ce succès, lui en témoigna sa satisfaction et le renvoya au duc d’Aiguillon pour s’entendre sur les prétentions de Morande. Le ministre, fortement attaqué dans le libelle en question, tenait beaucoup moins à le détruire qu’à connaître au juste les liaisons de l’auteur en France. De là une scène avec Beaumarchais qui fait honneur à ce dernier et que nous devons reproduire pour montrer comment il comprenait et limitait lui-même le rôle un peu équivoque que sa situation l’avait forcé d’accepter :


« Trop heureux, écrit Beaumarchais dans un mémoire inédit adressé à Louis XVI après la mort de son aïeul, trop heureux de parvenir à supprimer ces libelles sans en faire un vil moyen de tourmenter sur des soupçons tous les gens qui pourraient déplaire, je refusai de jouer le rôle infâme de délateur, de devenir l’artisan d’une persécution peut-être générale et le flambeau d’une guerre de bastille et de cachots. M. le duc d’Aiguillon, en colère, fit part au roi de mes refus. Sa majesté, avant de me condamner, voulut savoir mes raisons. J’eus le courage de répondre que je trouverais des moyens de mettre le roi hors d’inquiétude sur toute espèce de libelles pour le présent et l’avenir, mais que, sur les notions infidèles ou les aveux perfides d’un homme aussi mal famé que l’auteur, je croirais me déshonorer entièrement, si je venais accuser en France des gens qui peut-être n’auraient pas eu plus de part que moi à ces indignes productions. Enfin je suppliai le roi de ne me pas charger de cette odieuse commission, à laquelle j’étais moins propre que personne. Le roi voulut bien se rendre à mes raisons ; mais M. le duc d’Aiguillon garda de mes refus un ressentiment dont il me donna les preuves les plus outrageantes à mon second voyage. J’en fus découragé au point que, sans un ordre très particulier du roi, j’aurais tout abandonné. Non-seulement le roi voulut que je retournasse à Londres, mais il m’y renvoya avec la qualité de son commissaire de confiance pour lui répondre en mon nom de la destruction totale de ces libelles par le feu. »


Le manuscrit et les trois mille exemplaires des mémoires sur Mme Du Barry furent en effet brûlés, aux environs de Londres, dans un four à plâtre. Seulement on ne se douterait guère de ce que coûta cette intéressante opération. Pour acheter le silence d’un Morande et préserver des atteintes de sa plume la réputation de Mme Du Barry, le gouvernement français donna à cet aventurier 20,000 francs comptant, plus 4,000 francs de rente viagère, afin de lui fournir apparemment la facilité d’être honnête homme, si l’envie lui en prenait. On a prétendu à tort[1] que cette pension de 4,000 francs fut supprimée sous le règne suivant ; ce n’était point une pension, c’était un

  1. Dans la Biographie universelle de Michaud, qui consacre à ce Morande un assez long article.