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mais quand la population s’accroît, tout change. Si l’on ne s’occupe pas sérieusement des moyens de rétablir et même d’accroître la fécondité du sol à mesure que la production des céréales la réduit, il arrive un moment où les terres, trop souvent sollicitées à porter du blé, s’y refusent. Même avec les climats et les terrains les plus favorisés, l’ancien système romain, qui consistait à cultiver le blé une année et à laisser le sol en jachère l’année suivante, finit par devenir insuffisant ; le blé ne donne plus que des récoltes sans valeur.

La terre s’épuise plus vite par la production des céréales dans le Nord que dans le Midi ; de cette infériorité de leur sol, les Anglais ont su faire une qualité. Dans l’impossibilité où ils étaient de demander aussi souvent que d’autres du blé à leurs champs, ils ont dû rechercher de bonne heure les causes et les remèdes de cet épuisement. En même temps, leur territoire leur présentait une ressource qui s’offre moins naturellement aux cultivateurs méridionaux : c’est la production spontanée d’une herbe abondante pour la nourriture du bétail. Du rapprochement de ces deux faits est sorti tout leur système agricole. Le fumier étant le meilleur agent pour renouveler la fertilité du sol après une récolte céréale, ils en ont conclu qu’ils devaient s’attacher avant tout à nourrir beaucoup d’animaux. Outre que la viande est un aliment plus recherché des peuples du Nord que de ceux du Midi, ils cherchent dans cette nombreuse production animale le moyen d’accroître par la masse des fumiers la richesse du sol et d’augmenter ainsi leur produit en blé. Ce simple calcul a réussi, et, depuis qu’ils l’ont adopté, l’expérience les a conduits à l’appliquer tous les jours de plus en plus.

Dans l’origine, on se contentait des herbes naturelles pour nourrir le bétail ; une moitié environ du sol restait en prairies ou pâturages, l’autre moitié se partageait entre les céréales et les jachères. Plus tard, on ne s’est pas contenté de cette proportion, on a imaginé les prairies artificielles et les racines, c’est-à-dire la culture de certaines plantes exclusivement] destinées à la nourriture des animaux, et le domaine des jachères s’est réduit d’autant. Plus tard encore, la culture des céréales a elle-même diminué ; elle ne s’étend plus, même en y comprenant l’avoine, que sur un cinquième du sol, et ce qui prouve l’excellence de ce système, c’est qu’à mesure que s’accroît la production animale, la production du blé s’augmente aussi : elle gagne en intensité ce qu’elle perd en étendue, et l’agriculture réalise à la fois un double bénéfice.

Le pas décisif dans cette voie a été fait il y a soixante ou quatre-vingts ans. Au moment où la France se jetait dans les agitations sanglantes de sa révolution politique, une révolution moins bruyante et plus salutaire s’accomplissait dans l’agriculture anglaise. Un autre homme de génie, Arthur Young, complétait ce que Bakewell avait