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on croit en elle au désordre toujours renaissant des intelligences dispersées par le vent du siècle, le pas est facile à franchir, et l’on arrivera par cette voie, non à démontrer en principe la vérité de la doctrine, mais à y ramener beaucoup d’esprits, surtout à leur persuader qu’il est désirable qu’elle soit vraie, ou du moins que la foi se raffermisse et s’étende.

Cet argument, j’en conviens, est plutôt politique ou moral que métaphysique. Il est politique, car il appuie la foi sur le bien de la société ; il est moral, car il admet que l’état de foi est meilleur pour l’âme que l’état d’incrédulité. Il provoque par de sérieuses considérations les dispositions favorables à la religion : il motive suffisamment les réactions religieuses, et toute église qui saura s’en servir avec dignité et modération pourra déterminer en sa faveur un mouvement durable ; mais ce serait, je crois, outrer cet argument que d’en faire sortir le scepticisme universel, ou que de le regarder comme suffisant pour établir la vérité du christianisme. À lui seul il ne fera jamais un bon chrétien, il pourra seulement disposer à le devenir.

On remarquera en effet que les considérations prises de l’état des âmes croyantes dans ses rapports avec le bien moral de la société et de l’individu pourraient s’accommoder avec une religion fausse comme avec une véritable. Plus d’un auteur moderne a plaint les Romains d’avoir, avant César, négligé le culte des faux dieux, et l’on a imputé à l’affaiblissement de leur religion la chute de leurs mœurs et de la république. Ce qui est plus vrai et ce qui doit donner à réfléchir, c’est que quand on raisonne au point de vue de la discipline morale de la société, l’exemple des pays protestans doit être cité le premier. Les écrivains de l’église ne sauraient donc se servir avec trop de précaution d’une arme qui peut les blesser, et cet argument, pliable en plusieurs sens, ne les dispense pas d’appuyer la religion catholique sur la démonstration directe de sa vérité, œuvre grande, difficile, que l’état des esprits et des doctrines rend nouvelle et ne permettrait pas de traiter sans une philosophie profonde. Ce que nos pères appelaient une démonstration évangélique serait une œuvre très opportune ; car ce qui provoque nos objections chez les modernes apologistes, ce n’est pas la thèse, mais l’argument. Une certaine défaveur s’attache, je le sais, à toute réfutation, si mesurée qu’elle puisse être, d’une doctrine qui se donne pour orthodoxe. Autant on aimerait à braver les attaques de l’esprit de secte ou de parti, autant on est porté à tenir compte du sentiment de regret qu’éprouvent d’honnêtes gens, pleins de foi, ou de respect, ou de scrupules, lorsqu’ils voient, au milieu de tant d’autres erreurs plus répréhensibles ou plus funestes, la critique s’attacher à celles qui peuvent se