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un peu rabaissé l’intelligence, mais vous n’aurez pas relevé la matière, ni mieux éclairci les clauses du contrat qui les unit. Vous ajoutez que le corps donne les fantômes, et que l’intelligence en exprime les idées. La doctrine est connue, c’est encore une doctrine d’Aristote ; mais en vérité vous seriez plus clair, si vous disiez que les idées sont tirées des sens, que l’intelligence généralise ou transforme les sensations. Ne voilà-t-il pas une belle solution et bien propre à satisfaire, non pas même le spiritualisme platonicien, mais le spiritualisme chrétien ? Enfin que signifient ces mots : le corps transmet les fantômes ? Comment les donne-t-il ? que sont-ils ? Quelle expérience ou quel raisonnement prouve, indique seulement que cette masse organisée soit une fabrique d’images ? La croyance universelle ne confirme pas assurément cette invention scientifique. Le genre humain croit qu’il voit par les organes des objets réels, et que, se rappelant qu’il les a vus, il y pense et il en raisonne. Quant à l’hypothèse des fantômes, il faudrait la prouver avant de s’en servir avec tant de confiance. Ignoreriez-vous que ces fantômes, ces images, ces espèces sensibles ont été niées d’une manière absolue, et qu’elles seraient surtout insoutenables, si elles étaient, comme vous semblez le prétendre, purement physiques ? Si, pour vous épargner beaucoup de volumes à feuilleter, vous voulez bien lire seulement sur cet article quelques pages laissées par M. Royer-Collard, vous trouverez contre votre hypothèse une argumentation qui, si elle ne vous semble péremptoire, vous paraîtra du moins fort sérieuse.

Mais voici qui est plus grave. Si l’âme est confondue avec le corps au point qu’il y ait, non pas union de deux substances, mais unité de substance dans l’homme, comment l’âme peut-elle être séparée du corps sans cesser d’exister ? Cette unité de substance est une pensée d’Aristote très-mal venue dans une philosophie chrétienne. Aristote, lui, n’admettait pas l’immortalité de l’âme, du moins de l’âme tout entière. La substance ne résultait pour lui que de la réunion de la forme et de la matière. Cette forme qu’on appelle âme, perdant sa substance en perdant son corps, comment pourra-t-elle subsister sans lui ? Il y sera suppléé, nous dit-on, par d’autres moyens. Ce n’est là qu’une assertion, encore peu rassurante. On me dit bien que l’âme comprend par elle-même ; mais, comme on ajoute qu’elle ne connaît que par le corps, je me demande comment elle comprendra sans connaître ? Par habitude, répond le père Ventura. N’importe ; de la mort à la résurrection générale, l’intervalle est long à traverser, et bien imprudent est le vœu que formait saint Paul d’être délivré de ce corps de mort. Il est vrai que saint Paul s’imagine qu’il y a une lutte entre la chair et l’esprit. Il était venu avant le concile de Vienne, et peut-être était-il de l’avis du père Malebranche,