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plus haut. On leur aurait à ce prix bien volontiers permis de laisser dans un profond oubli tous les anges de l’école, tous les aigles de la théologie, et d’ignorer à jamais qu’il y eût une certaine science philosophique et religieuse répandue dans les in-folios de saint Anselme, de saint Bernard, d’Hugues et Richard de Saint-Victor, enfin de saint Bonaventure, science dont saint Thomas d’Aquin avait fait l’encyclopédie méthodique, christianisme dont le Dante avait été le poète. L’esprit littéraire de la France, cet esprit formé par l’antiquité, élégant et difficile, plus amoureux du beau que du vrai, du talent que de la pensée, un peu dédaigneux, un peu vain, libre avec goût, cherchant la raison facile, la dignité, la grâce, la clarté, et redoutant le travail et l’ennui comme des restes de barbarie, dominait tout, la philosophie, la science, la religion. Il aurait cru déroger en prenant date d’une autre époque que celle où Montaigne avait commencé d’écrire ; il aurait craint de se salir en retournant chercher des paillettes d’or dans le fumier du moyen âge, lui qui remuait à boisseaux les brillantes médailles frappées sous le règne de Louis XIV.

Aussi M. de Bonald, qui le premier a osé dire qu’il fallait répondre à la révolution française par une philosophie, et transporter la guerre dans le domaine des idées, cherchant à réaliser cette grande pensée et à élever de ses mains le monument, n’imagina pas d’aller demander au moyen âge ses méthodes et ses principes, pas plus qu’il n’eût conseillé à l’émigration de lui emprunter ses armes de guerre pour combattre l’artillerie des soldats de la république. Dans ses ouvrages, aujourd’hui si peu lus, mais où brille un esprit élevé, subtil, et le talent d’un écrivain, il défend la cause du passé sans en étudier l’histoire, et, quoique ennemi des témérités de la raison pure, il ne prend pas son point d’appui dans les livres et n’affecte nulle érudition. Il est de son temps ; il sait peu de chose, pense beaucoup, raisonne encore plus, et montre autant d’esprit qu’il peut, ce qui n’est pas peu dire. En devisant sur la métaphysique, il rencontre le moyen âge, et il en parle comme en parlait tout le monde. Il se heurte aux scolastiques, et il les traite comme aurait fait Daunou, qui cependant passait pour les connaître. C’étaient des esprits incultes, dit-il. Des esprits incultes, s’écrie le père Ventura, Albert le Grand et saint Thomas ! Leur science, poursuit M. de Bonald, était une mécanique du raisonnement, une idéologie ténébreuse ; ainsi aurait parlé l’inventeur même du nom de l’idéologie ; puis, ayant occasion de donner une définition de l’homme, il en rédige une fort élégante qui n’est pas trop mauvaise, qui a fait scandale à l’École de médecine de Paris, mais qui n’est pas celle de saint Thomas. Enfin, chose plus grave encore, dans ses Recherches métaphysiques, après une revue de toutes les écoles depuis Thalès, y compris les écoles chrétiennes