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fut un caractère de leur génie. Pendant ce demi-siècle, la littérature philosophique fut très animée. Elle enfanta cent livres curieux, hardis, chercheurs, des tentatives plutôt que des doctrines. Enfin Descartes vint, et c’est bien lui, en effet, qui ferma les portes du temple. Ce temple de la Jérusalem scolastique, le père Ventura voudrait le rouvrir aujourd’hui, en réparer les ruines. Ce n’est pas nous qui nous rirons de cette entreprise, ni qui chercherons à disperser les travailleurs. Nous les avons visitées quelquefois ces ruines fameuses avec une curiosité pleine de respect, et nous ne serions pas scandalisé de les voir se relever de terre ; mais franchement la chute a été bien lourde, le discrédit est bien grand, Descartes a terriblement réussi. Le père Ventura aurait bien fait de rechercher pourquoi, et d’examiner si la scolastique est de ces puissances dont la restauration soit possible. Il se borne à comparer, dans un morceau brillant et animé qui a dû produire de l’effet en chaire, la raison humaine, errant depuis quatre siècles hors du giron de l’église, à l’enfant prodigue, et il la conjure éloquemment de revenir se jeter dans les bras qui s’ouvrent pour la recevoir. C’est bien dit ; mais les choses humaines auraient d’étonnans retours, si les générations nouvelles devaient, pour demander le pain de la science, revenir frapper à la porte de l’école de saint Thomas d’Aquin.

C’est ici qu’il est assez piquant d’opposer le père Ventura à ses devanciers. M. de Maistre, M. de Bonald soupçonnaient assez vaguement qu’il devait se trouver plus de bon grain qu’on ne croyait dans cette ivraie de la scolastique ; mais ils n’étaient nullement tentés d’y aller voir, et confondant, comme on le fait sans cesse et comme le fait un peu le père Ventura, la philosophie scolastique et la théologie scolastique, ils savaient en gros que la première était un aristotélisme verbal, et se souciaient peu de vérifier si, appliquée à la traduction et à la déduction des dogmes chrétiens, cette langue et cette méthode en avaient fait un tout scientifique très propre à l’enseignement et à la controverse. Ce n’est pas sous cette forme qu’on aimait alors à présenter, à célébrer le génie du christianisme. On préférait la forme du XVIIe siècle ; M. de Lamennais lui-même l’appelait le siècle de la religion et de la gloire, ce siècle du gallicanisme et du jansénisme. En ce temps-là, on s’inquiétait fort peu des hardiesses de Descartes ; on avait de bien autres soucis. C’étaient Volney et Dupuis qu’il fallait ruiner. C’était contre l’école de Bacon et contre Bacon lui-même qu’il fallait réagir, et Joseph de Maistre écrivait tout un volume pour démolir l’édifice de sa renommée. Moins délicat et moins exigeant qu’aujourd’hui, on n’éprouvait aucun besoin de se moquer de la Logique de Port-Royal, et l’on se serait tenu pour très heureux si les jeunes esprits avaient bien voulu y revenir, sans jamais remonter