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qu’il y a l’homme dans tout homme, que dans l’erreur la plus grossière, on peut retrouver quelque chose de la vérité primitive ; mais j’ai le malheur de croire aussi que l’homme la défigure étrangement, que non-seulement sa raison, même exercée, cultivée, développée, peut errer, mais surtout que l’irréflexion, la préoccupation dominante de ses besoins et de ses passions, la faiblesse, la violence, la misère, la grossièreté d’esprit, la barbarie des mœurs, l’oppression, l’imposture, peuvent, si ce n’est altérer la nature, au moins retenir l’essor ou faire dévier la marche de sa raison, et qu’il y a de grands préjugés et de grandes ignorances en ce monde. Voilà pourquoi l’on peut trouver plutôt curieux que nécessaire l’examen complet de toutes les croyances et de tous les cultes. Mais sans contredit, de ce que les hommes pensent en général, du témoignage des peuples pris en masse, peuvent se tirer des inductions précieuses. Une certaine coïncidence entre l’humanité et le vrai peut être ainsi reconnue à posteriori, et il serait assurément injuste de reprocher à la philosophie d’avoir négligé cette source d’instruction. En France surtout, je ne l’ai entendu que trop souvent accuser d’être plus historique que dogmatique. Le vrai, c’est qu’aucun philosophe n’a prétendu s’isoler absolument de l’humanité. Descartes ne prisait pas l’érudition ni l’histoire ; il faisait peu de cas des opinions d’autrui. On pense à lui probablement, lorsqu’on reproche à la philosophie d’avoir conseillé à l’homme de chercher en soi la certitude et la science. Il a été sans doute un grand observateur de la pensée, et sa prétention, très fondée sous quelques rapports, était de marquer dans la science comme un inventeur et d’instituer une doctrine originale. Et cependant il est si loin d’exclure ce que sait le commun des hommes, qu’il dit en propres termes que « toutes les vérités qu’il met au nombre de ses principes ont été connues de tout temps de tout le monde. » Enfin, et pour ne rien laisser sans réponse, au cas que l’on insiste sur cette objection de Bonald, que l’homme, en écoutant sa raison, n’entend jamais que l’écho de sa propre voix, je demanderai si l’on prétend lui contester la faculté, le devoir de se connaître soi-même. Il faudrait donc abandonner ce plus vieux, ce plus divin des préceptes. J’ai entendu l’objection de la bouche des matérialistes ; comment concevoir, disaient-ils, que l’observateur et l’observé ne fassent qu’un ? Mais s’il résultait de l’identité de l’esprit humain sous ces deux aspects qu’il ne pût valablement se connaître, il ne pourrait rien connaître du tout. Ce n’est jamais que dans la conscience de ses actes, sensations, perceptions, idées, que l’esprit humain puise ses connaissances ; il n’a jamais que lui-même pour garant de ce qu’il affirme, et c’est en lui qu’il croit d’abord lorsqu’il connaît quelque chose. Si ce fait suffit pour mettre en prévention